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Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/330

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LES DÉRACINÉS

d’une certaine intelligence, ils étaient laids tout de même, avec leur mimique étrangère, sous le porche d’une vieille maison de Neufchâteau. Sturel, tout imbu des idées que, petit garçon, il avait prises au collège de Neufchâteau, mais sans nulle animosité, se sentit, à les regarder, envahi de tristesse : « Avec ceux-là, comment avoir un lien ? comment me trouver avec eux en communauté de sentiments ?… Moins instruits que ces nomades, moins liseurs de journaux, moins avertis sur Paris, les bourgeois de Neufchâteau, qui sont en train de périr, submergés sous leurs bandes, avaient une façon de sentir la vie, de goûter le pittoresque, de s’indigner et de s’attendrir, enfin, qui faisait qu’avec eux je m’accordais et je profitais. Nous avions, ce qui ne s’analyse pas, une tradition commune : elle nous avait fait une même conscience… »

Ce dernier voyage à Neufchâteau aura été très utile à Sturel. Quitte à les élucider plus tard, il a emmagasiné ces sensations. C’est sous leur influence mélancolique qu’il vient d’écrire un article dont voici le sens : En ces années, et depuis le 18 mai 1882, Paul Déroulède et la Ligue des Patriotes, quand ils proposent aux Français le serment : « Nous nous engageons à poursuivre par tous les moyens en notre pouvoir le relèvement complet de la patrie », quand ils honorent Metz et Strasbourg et quand ils mettent à l’index les produits allemands, font une œuvre excellente, car leur sentiment, s’il était partagé par tous, aboutirait fatalement à faire surgir ce héros qui imposera une revision du traité de conquête et de commerce signé à Francfort en 1871. Mais nous