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Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/482

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LES DÉRACINÉS

nerait pas, s’il s’était trompé, d’avoir par cette erreur retentissante favorisé les adversaires du gouvernement ; par rancune et par souci de carrière, aussi bien que par coquetterie professionnelle, il voulut n’avoir pas tort. En même temps, il hésitait à s’engager plus avant. Mouchefrin profita des sympathies qui s’agitaient autour de Racadot, mais qui trouvaient celui-ci déjà trop compromis pour se déclarer bien franchement. Dans les affaires qui touchent à la politique, toute arrestation, chez le Juge d’instruction, devient un compromis entre la vengeance et la peur. Ce mardi, 2 juin, après avoir balancé, le parquet ne signa pas de mandat d’arrêt contre Mouchefrin.

Le mercredi 3, Renaudin reconstitua et publia, en la grandissant à la hauteur des circonstances, la pauvre conférence du 26 mai sur la nouvelle morale et sur Hugo : « Chaque être lutte pour se faire place au banquet trop étroit de la nature, et le plus fort tend à césariser. »

D’un accord unanime, tous les partis s’écrièrent : « Élevons le débat ! » Socialistes, positivistes, déistes, catholiques, protestants se jetèrent les uns sur les autres. Tout en bas, il y avait le crime de Billancourt, et puis, dans les nuées, les beaux esprits combattaient, pareils aux dieux d’Homère qui doublent de leurs combats les rixes des mortels. Le sort de Racadot, ou du moins de Mouchefrin, allait dépendre de dialectiques supérieures auxquelles le pauvre hère, maintenant demi-abruti, eût été bien incapable de se mêler.

Assis pendant d’interminables semaines sur une chaise de paille dans le corridor des juges d’instruc-