Aller au contenu

Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
486
LES DÉRACINÉS

à tant ! » Chaque matin, Gambetta lisait toute la presse de Paris et des départements ; d’un coup d’œil, dans les trois pages et jusque dans les faits divers de chef-lieu il avait tout aspiré, tout classé,

— Pourquoi n’avez-vous pas de secrétaire qui vous signale l’essentiel ? lui dit Bouteiller.

— L’essentiel, mais quel est-il ? Tout me sert, peut me servir. Il me faudrait cinq, six secrétaires. Ils n’auraient fini de lire et d’extraire qu’à dix, onze heures. Moi à neuf heures, en cent vingt minutes, j’ai tout vu !

C’est pour s’être appliqué à imiter le grand opportuniste que Bouteiller, sans enquête prolongée, sut indiquer à ces messieurs du Panama les journaux de Paris et des départements qui valaient des subventions. En outre, selon la politique de chaque feuille et selon chaque esprit local, il graduait la nuance et l’énergie des articles à insérer.

Un tel travail d’indicateur mené avec justesse, avec sincérité et avec décision servait économiquement les intérêts de la Société : ces messieurs ne crurent pas trop le payer de cinquante mille francs. Nul doute que si Bouteiller, à cette époque, avait désiré une situation dans la Compagnie, on la lui eût créée fort belle. Puisqu’il voulait entrer au Palais-Bourbon, on souhaita qu’il y réussît. Les administrateurs du Panama cherchaient à se faire des amis dans la prochaine Chambre, parce que ce n’est pas tout d’avoir obtenu des actionnaires l’autorisation d’émettre un emprunt de six cents millions : il ne pourra réussir qu’avec l’appât de valeurs à lots, et pour les émettre il faut une loi. Dans ces mêmes moments, Charles de Lesseps signe à M. Cornélius Herz,