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LE SYMBOLISME

fussent-ils, étaient ignorés du public. Les initiés seuls en pouvaient apprécier l’énergie têtue et le noble désintéressement. Le lecteur bourgeois ouvrait avec appréhension ces revues de format si peu respectable où s’accumulait un si grand nombre de noms inconnus. Il s’effarait devant ces poèmes qui n’étaient pas d’inspiration nationale. Il n’entendait goutte à ces élucubrations trop pâles, à ces mots bizarres, à ces expressions décolorées qui ne flattaient pas son goût de l’honnête et du déjà lu. Décadents ! Symbolistes ! Ces épithètes ne lui disaient rien qui vaille. Pourquoi ? D’abord parce que le lecteur bourgeois n’aime pas les nouveautés, ensuite parce que personne ne connaissait ces promoteurs audacieux d’un art récent. Ces messieurs s’étaient toujours présentés eux-mêmes. Les grands journaux n’avaient jamais parlé d’eux à leurs abonnés. Aucun critique bien pensant ne les avait conduits par l’oreille à l’admiration de ce juge souverain, la foule. Le symbolisme risquait de consumer sa gloire entre les banquettes des petits cénacles, lorsque tout à coup la respectabilité d’un in-18 lui ouvrit les portes de la renommée. Le sauveur, c’est A. Rebours, la confession la plus angoissante qui soit sortie de la plume d’un réchappé du naturalisme. Surgissent, aussitôt après, les Déliquescences d’Adoré Floupette. Plus encore que le roman d’Huysmans, cet opuscule mit en contact le grand public et les décadents. Après son apparition en librairie, les journaux s’emparèrent en effet du type qu’il avait créé. Il y avait dans le nouveau cénacle de quoi s’amuser et amuser les autres. Les bons confrères firent assaut d’esprit et de méchanceté. Comme il arrive le plus souvent, sous le fouet des injures et la douleur des coups le symbolisme releva la tête. A force d’attaques la presse fortifia celui qu’elle voulait tuer.

1. Le Gil Blas du 17 mai 1885 inaugura les attentats de la critique. Paul Arène, assez peu méchant pour les novateurs, mais nullement avare d’éloges à l’adresse des auteurs des