Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183
VERLAINE


Être naturel, être sincère, être soi, voilà le ni le premier principe de l’art.

L’art tout d’abord doit être et paraître sincère
Et clair, absolument : c’est la loi nécessaire
Et dure, n’est-ce pas, les jeunes ? mais la loi…
L’art, mes enfants, c’est d’être absolument soi-même[1].


Assurément la sincérité ne s’apprend pas ; mais si l’art n’est pas spontané, il peut paraître sincère, et il est des règles qui permettent de donner cette illusion. Elles sont en tous cas une discipline pour l’esprit ; elles le gardent d’abord des mauvaises habitudes qu’il peut contracter dans un milieu où l’éducation tend à substituer l’artificiel au naturel. Elles le maintiennent ensuite dans le chemin de la vraie beauté poétique. Être sincère, c’est pour Verlaine être original ; or pour lui l’originalité ne dépend pas de la raison, mais de l’émotion.

Un art logique est essentiellement contraire aux fins de la poésie. Il y introduit, non l’émouvant aveu d’une âme, mais le lyrisme rationaliste.

On n’est plus alors sensible aux charmes de la poésie qu’à la condition de pouvoir mettre en branle tout le jeu des facultés de l’entendement ; car il faut comprendre le poème et non plus le sentir. Ainsi l’on restreint la portée de la poésie. On n’atteint plus le cœur qu’à travers le cerveau ; la poésie devient la source de pensées et nullement de sensations. Or la pensée est le privilège d’une élite, la sensation le patrimoine de tous.

La logique suppose en outre la clarté des idées et la netteté de l’expression. Elle conduit à l’élégance amorphe des classiques, ou à la plasticité vide des parnassiens. Elle fait de la poésie une succursale de l’art oratoire, permet des effets de rhétorique, en un mot substitue à la spontanéité

  1. Bonheur, XVIII.