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LE SYMBOLISME

loir admettre exclusivement le traité du verbe enfanté par M. Ghil, il est certain que pour tout esprit artiste, les sons peuvent se traduire en nuances. Le vers bien construit ne peut frapper l’esprit d’un musicien quelque peu affiné, sans qu’aussitôt surgisse le thème correspondant, et de même qu’une phrase musicale désigne d’elle-même, absolument, l’instrument qui doit primitivement la traduire, de même un assemblage de syllabes sœurs évoque le travail d’un orchestre invisible [1] ». Ce sont les théories de Mallarmé complétées par celles de René Ghil et de Gustave Kahn. Mockel n’admet pas tous les paradoxes techniques de Ghil. Il en suit modérément les exemples. Pour lui, comme pour tous les rédacteurs des Écrits pour l’art, l’expression symboliste comporte deux postulats : le rythme intérieur doit dominer le rythme externe. Il y a un travail polyphonique de syllabes suggérant, par leurs sons et leurs divers degrés de lumière, les images et les associations d’idées qui accompagnent, comme leur atmosphère propre, le dessin des idées tracé dans la phrase [2].

Albert Mockel est plus musicien que poète. Il l’indique au lecteur en faisant suivre ses deux recueils de poésies, Chantefable un peu naïve et Clartés, de pages musicales qui sont comme le commentaire harmonique de ses compositions poétiques. Pour saisir le charme de sa poésie, il la faut chanter avec accompagnement d’instrument ou d’orchestre. Alors les tentatives heureuses de sa métrique se trouvent habilement soulignées par la phrase harmonique et enchantent l’oreille au lieu de la surprendre.

A la lecture, l’œuvre suscite moins d’enthousiasme. Les différences entre les sonorités imitatives de Ghil et les refrains chantournés de Mockel n’apparaissent pas avec assez de netteté. A la longue on s’aperçoit que le disciple n’a pas la vigueur du maître. Il est plus féminin et pourtant moins

  1. Chronique littéraire, par L. Hemma. La Wallonie, II, 1887.
  2. La Wallonie, II, p 370.