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LES MALLARMÉENS


À ces remarques, il convient d’ajouter quelques considérations sur l’importance des syllabes muettes. Beaucoup de symbolistes avaient traité ces syllabes comme des syllabes quelconques sans aucune importance. Certains même avaient jugé si inutile la présence des e muets qu’ils n’avaient pas hésité à n’en tenir aucun compte et à leur substituer des apostrophes. Rendu à un sentiment plus exact des tonalités musicales de notre langue, Vielé-Griffin redonne à l’e muet toute sa valeur : « Le supprimer, écrit-il, c’est l’excuse d’une émotion nerveuse de récitant inexpérimenté, de vieux soldat, de cocher ou d’anglais et d’allemands, mais il ne faut pas qu’on généralise ces cas d’exceptions parce que l’e muet est la base musicale de la langue française [1]. » C’est beaucoup accorder « au magique secret de l’e muet », mais Vielé-Griffin n’en persiste pas moins à déclarer que le « jeu des e muets l’a toujours frappé comme étant la suprême subtilité d’une langue accomplie et divinement musicale, dont la brutale abrogation des muettes ferait, pour employer une expression de M. de Régnier, quelque chose de moins qu’un patois britannique [2] ».

Cette liberté, qui pour Vielé-Griffin domine l’inspiration et le rythme, n’exclut donc point une certaine méthode prosodique. Elle ne légitime pas non plus les innovations lexicographiques. L’œuvre du poète n’est pas d’inventer une langue nouvelle, mais de ramener l’ancienne à la pureté étymologique.

Sauf ces restrictions qui sont moins des entraves à l’indépendance du poète que des procédés capables de faciliter l’expression de sa fantaisie, Vielé-Griffin proclame enfin lui aussi l’avènement « de l’anarchie littéraire [3] » qui a permis au poète de faire des vers personnels, c’est-à-dire d’être com-

  1. Objections rainonnées. Entretiens politiques et littéraires, 1891, t. III, p. 18.
  2. Réflexions sur l’art des vers, p. 218.
  3. Entretiens politiques et littéraires, 1892, t. IV, p. 217.