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LE SYMBOLISME

préoccupent les premiers poètes de notre histoire littéraire, la Nature n’apparaît dans le chant lyrique qu’à la fin du xviiie siècle, avec les Rousseau, les Bernardin de Saint-Pierre et les Chateaubriand. Le romantisme achève de lui donner toute son ampleur. Les maîtres de l’école la conduisent même aux confins du panthéisme. La Nature chez eux s’assimile à la Divinité. Dieu, comme auteur des êtres et des choses, vivifie leur inspiration, mais il n’y figure encore que comme grand architecte de l’univers. Il faut aller jusqu’aux derniers poèmes de la Légende des siècles pour y rencontrer la notion de l’Infini. Quelques néo-romantiques commencent à confondre Dieu avec la force obscure qui environne le monde et le presse de tous côtés. Mais les symbolistes gardent exclusivement le mérite d’avoir ajouté à la perception de l’infini le sentiment de l’inconscient, l’idée du Mystère. De la nature, à Dieu, et à l’infini, le poète, grâce à eux, arrive à contempler l’immense inconnu devant lequel l’humanité écarquille en vain les yeux. L’inconnaissable est aujourd’hui thème lyrique au même titre que l’Amour, la Mort et la Nature. Par là, les symbolistes ouvraient à l’inspiration des routes qu’aucun voyageur n’avait encore foulées. Ils renouvelaient le lyrisme en l’élargissant ; ils transformaient l’esthétique en offrant à l’art des matériaux absolument neufs. Ils découvraient l’Inconscient ; ils le proclamaient objet de poésie. Ils arrachaient l’homme à la terre et le jetaient dans l’élément métaphysique.

Leur originalité comme leur bonheur est relativement aux autres réformes d’un intérêt beaucoup plus contestable.

La réforme prosodique abonde moins en avantages qu’en inconvénients. Ici l’apport du symbolisme est d’un côté le vers libéré de l’autre le vers libre. Le vers libéré n’est qu’un vers classique dont on a nuancé la mesure, sensibilisé le rythme ; on a multiplié les coupes, mais là-dessus aucun symboliste n’a dépassé les maîtres du classicisme. Tout bien examiné Verlaine ne va guère plus loin que Molière et que