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LES PRÉCURSEURS DU SYMBOLISME

système de philosophie, meurt à vingt-huit ans, fou mystique, aux yeux du moins des simples humains. Il essaie de démontrer la nécessité d’une conception spiritualiste du monde. Il en déduit comme conséquence la création d’un langage nouveau indispensable à l’expression d’idées et de sentiments nouveaux. Louis Lambert professe d’abord le spiritualisme de Swedenborg. Il le comprend ainsi : « Il y aurait en nous deux créatures distinctes. L’ange serait l’individu chez lequel l’être intérieur réussit à triompher de l’être extérieur. Un homme veut-il obéir à sa vocation d’ange, dès que la pensée lui démontre sa double existence, il doit tendre à nourrir la frêle et exquise nature de l’ange qui est en lui. Si, faute d’avoir une vue translucide de sa destinée, il fait prédominer l’action corporelle au lieu de corroborer sa vie intellectuelle, toutes ses forces passent dans le jeu de ses sens extérieurs et l’ange périt lentement par cette matérialisation des deux natures.

» Dans le cas contraire, s’il substante son intérieur des essences qui lui sont propres, l’âme l’emporte sur la matière et tâche à s’en séparer. Quand leur séparation arrive, sous cette forme que nous appelons la mort, l’ange, assez puissant pour se dégager de son enveloppe, demeure et commence sa vraie vie. Les individualités infinies qui différencient les hommes ne peuvent s’expliquer que par cette double existence ; elles la font comprendre et la démontrent. En effet, la distance qui se trouve entre un homme dont l’intelligence inerte le condamne à une apparente stupidité, et celui que l’exercice de sa vue intérieure a doué d’une force quelconque, doit nous faire supposer qu’il peut exister entre les gens de génie et d’autres êtres la même distance qui sépare les Aveugles des Voyants. Cette pensée qui étend indéfiniment la création donne en quelque sorte la clef des cieux. En apparence confondues ici-bas, les créatures y sont, suivant la perfection de leur être intérieur, partagées en sphères distinctes dont les mœurs et le langage sont étrangers les uns