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LE SYMBOLISME

Bertrand, écrit-il à Arsène Houssaye [1], l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne si étrangement pittoresque. Quel est celui de nous qui n’a pas dans ses jours d’ambition rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? » Et il compose ses Petits poèmes en prose, qui ressemblent d’assez loin sans doute à ceux d’Aloysius Bertrand, mais où il a réussi à mettre en lumière sa science si prestigieuse de la beauté propre au mot, de la valeur intrinsèque du vocable en dehors de l’idée qu’il exprime, où surtout, mieux encore que dans ses Fleurs du Mal, il a pu s’enivrer de ce parfum, de cette odeur des mots dont la déliquescence l’obsédait : « Ne semble-t-il pas au lecteur comme à moi, remarque-t-il dans la note qui suit le Franciscæ meæ Laudes, que la langue de la dernière décadence latine, suprême soupir d’une personne robuste déjà transformée et préparée pour la vie spirituelle, est singulièrement propre à exprimer la passion telle que l’a comprise et sentie le monde poétique moderne ? La mysticité est l’autre pôle de cet aimant dont Catulle et sa bande, poètes brutaux et purement épidermiques, n’ont connu que le pôle sensualité. Dans cette merveilleuse langue, le solécisme et le barbarisme me paraissent rendre les négligences forcées d’une passion qui s’oublie et se moque des règles. Les mots, pris dans une acception nouvelle, révèlent la maladresse charmante du barbare du Nord, agenouillé devant la beauté romaine. Le calembour lui-même, quand il traverse ces pédantesques bégaiements, ne joue-t-il pas la grâce sauvage et baroque de l’enfance ? » N’est-ce pas la

  1. Préface des Petits poèmes en prose.