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Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 1.djvu/233

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aussitôt ils perdent la raison ; ils frémissent, ils écument, ils se roulent furieux à terre, et s’enfuient, chacun de son côté, comme des loups, en remplissant l’air de déplorables hurlements.

« Ces fruits m’étaient destinés ; je l’ai su depuis. Il y avait alors en ces parages une femme qui m’avait aimé autrefois, et qui avait passé avec moi plusieurs années d’amour. Je la dédaignai, je repoussai ses caresses : elle voulut se venger ; et, ne le pouvant faire autrement, elle plaça ces dons enchantés au bord de la fontaine, où je devais revenir… Mais ma bonne étoile m’en préserva[1]. »

Peut-être est-ce cette même sorcière que veut désigner la ballade bretonne. Merlin le Sauvage parle lui-même dans ses poèmes d’une certaine femme versée dans les sciences magiques, avec laquelle il dit avoir eu des rapports.

Le roi auquel le poëte fait allusion dans notre pièce paraît être Budik, chef des Bretons d’Armorique, prince d’origine cambrienne, émigré de l’île de Bretagne. Il combattit les Franks, et défendit vaillamment contre eux la liberté de sa patrie ; Clovis, n’ayant pu le vaincre, le fit assassiner (vers 509). Budik avait marié sa fille Aliénor à un prince qu’on ne nomme pas, et lui avait donné en dot plusieurs seigneuries sur les côtes de Léon. C’était, d’après la Charte d’Alan Fergan, la tradition populaire du onzième siècle[2] ; c’était aussi celle du quinzième[3], selon le Mémoire du vicomte de Rohan. Il y a lieu de croire que cette Aliénor est la Linor de la ballade, dont le nom aura été francisé au moyen âge ; que le jeune homme dont Merlin sanctionne et célèbre légalement l’union avec elle[4], et à qui il fait gagner la souveraineté du pays de Léon, n’est autre que le fils de la magicienne; enfin que l’auteur de la Charte d’Alan Fergan et l’auteur du Mémoire du

  1. Vita Merlini Caledoniensis, p. 55.
  2. Vicecomes Leonensis protunc habebat quam plurimas nobilitates super navibus per mare Oceanum in costeriis Occisinorum, seu Leoniae navigantibus, quos, ut dicebatur, Budicius, quondam rex Britanniae, concesserat et dederat uni praedecessorum suorum in matrimonio. Carta Alani Fergan, ap. D. Morice, et D. Lobineau, Hist. de Bretagne.)
  3. « Voix publique au païs est qu’iceluy debvoir (de Leon) fust par un prince baillié en dot et en mariage faict d’une fille du dict prince à un des antécesseurs du vicomte de Léon. » (Mémoire aux états — 1478 — ap. D. Morice, Histoire de Bretagne.)
  4. « Les bardes célebreront dans leurs chants les mariages de la nation bretonne. »
    « Le chef des bardes aura une double part dans les dons royaux et dans les largesses faites à l’occasion du mariage de la fille du chef. » (Lois de Moelmud et Lois de Hoel-da. Myvyrian, t. III, p. 283 et 361.