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Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 1.djvu/339

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empire commence celui de Dieu. Il est curieux d’entendre, au sixième siècle, le barde-druide Taliesin faire étalage de ses connaissances de la même manière qu’Héloïse. Lui aussi se vante d’avoir subi ou de pouvoir subir des métamorphoses étranges; d’avoir été biche, coq et chien[1] ; de connaître tous les mystères de la nature[2] ; d’être l’instituteur du monde ; de tenir enfermé dans ses livres sacrés le trésor entier des connaissances humaines[3].

Le poëte est d’accord avec l’histoire en faisant vivre Héloïse et son amant à Nantes, ou aux environs. C’était le pays classique de la sorcellerie. Le druidisme avait eu un collège de prêtresses dans une des îles situées à l’embouchure de la Loire, et leur science avait laissé de si profondes traces dans les esprits, qu’au milieu du quatorzième siècle, elles ne s’étaient point encore effacées. Le nombre des sorcières se multipliait même tellement de jour en jour, que l’évêque diocésain crut devoir fulminer contre elles une bulle d’excommunication, avec toutes les cérémonies d’usage, en pleine cathédrale, au son des cloches, en allumant, puis éteignant les flambeaux, et foulant aux pieds le missel et la croix[4].

Les druidesses de la Loire, comme les vierges de l’archipel armoricain[5], passaient sans doute, aussi elles, pour être douées d’un esprit surhumain ; sans doute, l’on croyait qu’elles pouvaient soulever par leurs chants la mer et les vents, prendre à leur gré la forme d’animaux divers, guérir de maladies incurables, connaître et prédire l’avenir.

Il est facile de voir, à ces traits, que le poète a confondu Héloïse avec les prêtresses du culte antique de ses pères ; lui aurait-il mis dans la bouche quelques débris de leurs hymnes, conservés par la tradition ? Nous sommes porté à le croire, et telle est la raison qui nous a fait attribuer à une partie du chant une antiquité très-reculée et bien antérieure au douzième siècle, auquel il semble appartenir.

  1. Myvyrian, t. I, p. 35.
  2. Ib., ibid., p. 21.
  3. Ib., ibid., p. 20.
  4. Sortiarias quia quotidie multiplicantur in civitate et diocesi Nannetensi... excommunicamus. (Statuta Ollivarii, episcopi Nammensis, ad ann. 1354. D. Morice, Histoire de Bretagne, Preuves.)
  5. Maria et ventos concitari carminibus ; seque in quae vellint animalia vertere, scire ventura et predicare. (P. Mela, de Situ orbis, lib. III, c. VI.)