Aller au contenu

Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 1.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’appartement voisin, où le « repas des âmes » est servi. Le mendiant s’y asseoit à côté du riche : ils sont égaux devant la Mort. Au reste, comme nous aurons occasion de le dire encore, le pauvre est toujours associé aux douleurs comme aux plaisirs de tous, en Bretagne ; il a sa place à la table de mort, comme au banquet des noces.

Au point du jour, le recteur de la paroisse arrive, et tout le monde se retire, à l'exception des parents, en présence desquels le bedeau cloue le défunt dans la châsse. Aucun membre de la famille, ni la veuve, ni les frères, ni les sœurs, ni même le plus petit enfant, ne doit manquer à ce suprême et solennel adieu ; c’est un devoir sacré. On charge ensuite le mort sur une charrette attelée de bœufs. Le clergé, précédé de la croix, ouvre la marche du cortège funèbre ; ensuite vient le corbillard, que suivent la veuve et les femmes en coiffes jaunes et en mantelets noirs plissés, deuil des paysannes, et les autres parents, la tête nue et les cheveux au vent. On se dirige ainsi vers l’église du bourg, où l’on dépose la bière sur les tréteaux funèbres. La veuve reste agenouillée près de son mari pendant toute la cérémonie, et ne se relève que pour le suivre au cimetière.

Le plus grand silence a régné jusque-là ; on n’entend que la voix des prêtres qui chantent les hymnes, et des cloches qui sonnent les glas. Mais aussitôt que l’officiant, debout sur le bord de la tombe, a murmuré les derniers mots de la prière des morts, que le fossoyeur a laissé glisser la bière dans la fosse, que l’on touche à l’instant où l’on va perdre pour toujours celui qu’un aimait, au bruit sourd que rend la châsse en tombant, un cri déchirant part de tous les cœurs ; souvent la veuve et ses enfants veulent s’élancer après elle ; les hommes se jettent a genoux, en voilant leurs visages de leurs longs cheveux, comme ils le font en signe de deuil ; la foule reflue épouvantée, et parfois le prêtre lui-même, quoique habitué a ces douloureux spectacles, ne peut retenir ses larmes.


________