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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/34

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et qu’il n’ait pas été proféré par ceux-là mêmes de qui on était en droit d’espérer plus de courage. Un Tolstoï n’eût pas manqué de faire retentir sa vaste voix. Ce cri, il aurait pu sortir du sein de la chrétienté, des peuples neutres, du cénacle des penseurs. D’où provient cette abstention ou cette timidité ? Où est-il, l’imbécile ou l’hypocrite qui prétendra que la pitié est déprimante ? Allons donc !… Celui qui parlerait ainsi, je proclame d’avance qu’il ne saurait être autre qu’un installé de la guerre à moins qu’il ne soit seulement un minus habens dépourvu d’imagination ? Où aurait-il pris que les cris de pitié n’encouragent pas plus nos sublimes soldats dans leur tâche obscure et douloureuse que les coups de panache et d’encensoir perpétués par la littérature ?… Le simple sanglot d’une mère à son fils, « mon pauvre petit », est un viatique autrement réconfortant que les « nous vous envions l’honneur d’aller se faire tuer, sans sourciller, comme des fils de Corneille, etc… » C’est un fait que les soldats n’ont pas apprécié du tout le los inutile entonné en leur honneur : cette race merveilleuse qui n’éprouvait pas le besoin d’être réconfortée et qui l’a suffisamment montré, semble avoir trouvé de mauvais goût les cantates de l’arrière… Mais elle eût senti un lien plus solide avec l’arrière, si nous avions aidé à réveiller partout les notions de justice et de bonté oubliées. Ah ! pourquoi la pitié s’est-elle jugulée elle-même ! Pour ne pas contrister le civil et de peur de ralentir les affaires ? Je n’y crois pas ! Sommes-nous à ce point pusillanimes ? Quelle fable ! Si la foule avait dû être déprimée, elle l’aurait été, et bien autrement, par la série de déceptions que l’écriture et la parole lui ont fait subir, par les promesses perpétuelles des feuilles publiques démenties au fur et à mesure, par les mensonges dont on