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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/205

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ment !… Il y a eu une fatalité extraordinaire dans nos rencontres, avouez-le.

JESSIE.

On appelle toujours fatalité le résultat de ses propres lâchetés…

SERGE.

Pas dans mon cas. Je ne vous ai approchée qu’à des moments furtifs, mais ce sont ces moments-là dont toute votre vie a dépendu !… C’est moi qui ai réuni deux êtres qui s’aimaient et moi qui les ai séparés… Vraiment, quelqu’un qui me jugerait à mes actes me déclarerait bien léger et bien absurde !… Et pourtant, Jessie, toute l’influence bizarre que j’ai exercée sur votre vie vient, à mon insu, de ce que, dès le premier regard, je vous ai désirée… J’aurais dû, sans rien vous demander, m’intéresser à votre détresse… Mais la chair est faible, Jessie, vous étiez belle, attirante !… Quel mystérieux enchaînement des faits, quand on y songe !… J’ai été le bon et le mauvais génie de votre vie désemparée !

JESSIE.

Mais non, vous avez été le hasard qui passe, le hasard incohérent, précipité, le hasard qui est notre lot, à nous, aux pauvres filles de mon espèce… le hasard brutal qui brise notre véritable et belle destinée, car j’étais destinée à cet enfant… je ne devais appartenir qu’à lui seul… et j’ai tué son printemps !… Dors, mon petit… dors maintenant… Ah ! c’est que je l’ai vu dormir si pâle… si blême ! J’ai rapporté les deux coussins tachés de sang sur lesquels on avait calé sa pauvre figure.

SERGE.

Délivrez votre esprit de ce cauchemar !