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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/215

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CHAVRES.

Il y a longtemps que vous êtes pardonnée, depuis le jour où j’ai pu vous plaindre… et où j’ai pu dire : « Ah ! la malheureuse !… Que va-t-elle devenir ?… » Car vous avez eu beau être cruelle, et bafouer ma vieillesse, je ne vous ai jamais fait l’injure de penser que vous n’aviez pas éprouvé un peu d’amitié pour moi !… Vous m’avez humilié dans le désir absurde que j’avais de vous, dans le goût du plaisir qui vous inquiétait tant. Et vous avez bien fait de vous laisser emporter par ce coup de soleil hors de mon ombre, mais moi je pensais : « Où va-t-elle ? » Je savais bien que les jeunes n’ont pas le temps de s’occuper du bonheur des autres ! Pauvre petite qui avait pris sa volée… et encore je ne soupçonnais pas où vous en tomberiez, Jessie !… Ah ! ça non ! Moi, je vous aurais rendue peut-être heureuse, d’un bonheur paisible en tout cas et comblé… Sous mes paroles de vieux viveur sceptique, aviez-vous bien deviné le sentiment fort, et si grave, qui m’attachait à vous ?… Enfin, n’y pensons plus C’est fini ! c’est fini !

JESSIE.

Par folie j’ai manqué ma vie, par lâcheté j’ai tué la sienne ! Oui, c’est fini du printemps… c’est bien fini de sourire… Le temps me crie : « Passe, ma fille ! Tu as coupé toutes tes fleurs en avril !… Chaque année il y en aura pour d’autres sur la terre, mais le printemps qu’on tue ne ressuscite jamais ! »

CHAVRES.

Quelle erreur !… Ne pas ressusciter ? La vie est plus riche que ça ! Elle a d’autres ressources !… Vous aimerez un jour…