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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 12, 1922.djvu/260

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GABRIEL.

Qu’imagines-tu, voyons… Il ne manquerait plus que ça.

JEANNE.

Dans ton affolement, car tu as été affolé, avoue-le, tu aurais pu me persuader d’abandonner le petit ainsi que l’a fait le père de l’enfant d’une de mes camarades. Il lui écrivait, — j’ai lu la lettre : « Abandonne-le dans un champ de betteraves. De braves paysans le recueilleront. » On est toujours brave dans de pareilles occasions !

GABRIEL.

Je ne suis pas de ces gens-là !

JEANNE, (revenant s’asseoir près de lui.)

Eh bien ! je t’en ai été très, très reconnaissante. Tous les hommes n’auraient pas agi ainsi… J’aurais facilement perdu la tête. Tu m’as eue sage. J’étais aussi affolée que toi quand je me suis vue enceinte. Nous étions deux malheureux gamins et, au fond, si tu m’avais donné un mauvais conseil, je t’aurais écouté aveuglément. Aussi je ne veux pas te créer d’ennuis, ou le moins que je pourrai, en tout cas. Je n’ai pas été séduite, comme il arrive à tant de jeunes filles. J’ai eu ma part de responsabilité, car, quand tu m’as remarquée, il y avait longtemps que je pensais à toi… Chaque fois que tu traversais la salle à manger où ta mère m’avait installée à coudre, mon cœur battait… Je te voyais tourner autour de moi, entrer sous prétexte de déboucher un pot de oonfitures d’oranges… de donner de l’air au palmier… Tout en cousant, je me disais : « Quand se décidera-t-il ? » Aussi, lorsque j’ai senti tout à coup ta main qui passait sur mon cou et que tu m’as caressé les cheveux en disant : « Vous avez