Aller au contenu

Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 4, 1922.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

héroïque, belle, d’avoir porté — c’est le mot — une rayonnante illusion, quelque chose comme une couronne de beauté, pour se réveiller, pressant avec tendresse dans ses bras, comme les enfants, un moignon informe dont un pauvre ne voudrait pas !…

LECHÂTELIER.

Ne vous exaltez pas avec des mots… Restez dans la vérité bête et simple…

GRÂCE.

La vérité, mais j’y suis !… la voilà… je la touche !… Quelle horreur que celle où vous vouliez me faire trébucher et quelle sale vilenie alors que la vie, si des êtres comme moi en étaient capables !…

LECHÂTELIER.

Pourquoi donc vilenie ?

GRÂCE.

Pourquoi ?… Et l’autre, qu’est-ce que vous en faites aussi ?… Le pauvre autre qui s’en va !… Celui qui a été le confident, l’ami — entendez-vous la sonorité de cette parole ? — l’ami de tous les instants redevenant l’étranger… un peu irritant, qu’on observe à froid, redevenant l’inconnu du premier jour… gauche, ridicule, avec ses défauts et ses tares !… Oh ! voir celui qu’on a chéri de toutes les forces d’une tendresse quasi maternelle, le voir avec les yeux des autres, vous entendez, l’horrible chose, les yeux des autres… les vôtres, ceux de Suzanne !… Et voici qu’apparaît ce qu’on n’apercevait pas, petit à petit : les manchettes douteuses, le pli un peu commun de la lèvre, l’œil