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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 5, 1922.djvu/408

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FÉRIOUL.

L’amour, quand il a été grand, ne se liquide pas en cinq minutes, je m’en suis aperçu l’autre jour, comme aujourd’hui. Nous pouvons décréter qu’il mourra… qu’il est condamné sans appel… mais c’est tout ce que nous pouvons… Pour l’instant, il remue encore, comme les tronçons coupés d’une bête. Tiens, tout à l’heure, je l’ai encore ressenti. Depuis que la ville est ameutée contre toi, car toute la province est sur pied, et les voilà tous dressés contre toi ! Eh bien, un instinct plus puissant que ma raison m’a forcé à me porter à ton secours, à te défendre avec rage, comme ma chose, comme mon bien !… et j’ai préféré envoyer promener toute ma situation publique… d’un coup de pied, pour ne plus dépendre que de moi, me retrouver seul, face à face avec toi, pour te juger. Ce sentiment-là, je n’en ai pas honte. C’est la plus belle partie de l’amour. Mais, maintenant, tout de même, aux actes. Il s’agit de prendre des résolutions fermes pour l’avenir, pour dès demain ! Plus de larmes ; nous parlerons du passé plus tard. J’avais résolu de nous séparer de suite dès ce soir ; mais c’est une satisfaction d’égoïsme pure et simple ; les enfants sont là, il faut y songer… Dans l’union des êtres, il y a plus de choses en jeu que leur seul bonheur. Nous avons été heureux ensemble… nous devons être malheureux ensemble, nous le devons… Oh ! ce sera une chaîne pénible, mais il n’y a que cette solution. C’est fini. Nous vivrons seuls dans nos terres, nous vivrons de nous-mêmes, ce sera amer au début, mais qui sait ?… Oui, qui sait ? J’ai beaucoup réfléchi depuis l’autre jour ; j’ai touché le