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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 8, 1922.djvu/361

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dans un paysage qu’on respire largement, dans une musique, on sent, tout à coup, en soi, des associations incompréhensibles… Le passé a l’air de vous crier : « Tiens, bonjour !… Comme on se rencontre !… » Oh ! ce ne sont pas les grands sentiments, les larges agitations de la vie qui reviennent… non… ce sont de petits détails, des sensualités, des choses menues, des brins de paille charriés par la mémoire et qui surnagent on ne sait pourquoi.

HONORINE.

Mais dans quel ordre d’idées ? Donnez-moi une indication pour comparer si ce sont un peu les mêmes pailles que j’ai gardées de mon côté.

JUSSIEUX.

Rien. Mille broutilles ; vous voulez des exemples ? Eh bien ! sur l’impériale de l’omnibus de famille qui nous conduisait d’Argentiès à la ville, un baiser timide… Cette façon de s’appuyer longuement la joue l’un contre l’autre, une caresse que je vous ai donnée sur votre poignet d’enfant pour sucer le sang d’une petite piqûre… tenez… certaine étreinte dans la grange à foin d’Argentiès… sur le haut du palier… Ah ! nous n’avons pas été loin de nous prendre ce jour-là !…

HONORINE.

Oui… oui… je vois… maintenant… C’est à peu près le même ordre d’idées !… Armand, quelle étrange substitution dans la mémoire !… Vous ne trouvez pas ?… Nous nous aimions d’âme profondément, nous avons eu une séparation déchirante, atroce, j’ai voulu mourir et c’est cette partie de nous-mêmes qui s’est le plus effacée… D’autres amours sont venues sans doute qui ont tout absorbé… Ce qui subsiste seul en nous, c’est