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Page:Baudry - Rue Principale 1 les Lortie, 1940.djvu/191

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LES LORTIE

Et sans même un bonsoir, Suzanne Legault pivota sur les talons et s’en alla reprendre la grand route, tandis que Sénécal jetait vers le ciel une bordée d’imprécations et d’injures, destinées aux femmes en général, et à celle qui le quittait en particulier.

Sénécal eut certes juré davantage, s’il s’était douté que la fin de sa conversation avec Suzanne, la partie la plus compromettante, en somme, avait été recueillie par l’homme qui, dans tout Saint-Albert, avait les raisons les plus légitimes de lui souhaiter du mal. En effet, le marchand de cigares n’était pas seul, ce soir-là, à avoir eu l’idée de donner rendez-vous à quelqu’un dans les environs du vieux moulin. Cette idée, Marcel l’avait eue lui aussi et, deux minutes à peine avant l’arrivée de Sénécal, Fernande était venue rejoindre celui qu’elle aimait, dans une petite cabane qui avait servi, autrefois, à abriter un canot-automobile, et qui ne servait plus, aujourd’hui, qu’à abriter les serments et les baisers des amoureux.

Marcel et Fernande étaient restés, dans leur abri de planches branlantes, juste le temps de se dire tendrement bonsoir et, sans bruit, étroitement enlacés, ils avaient marché le long du fleuve, sur lequel les premières morsures du froid avaient laissé, çà et là, une mince pellicule de glace. Pendant quelque temps, ils s’étaient ainsi éloignés du vieux moulin, puis ils avaient fait demi-tour avec l’intention de remonter, vers la route, par le vieil escalier de pierre qui servait autrefois au meunier à gravir la pente raide de la berge. Mais des éclats de voix leur étaient parvenus. Inquiets, ils s’étaient arrêtés ; leur inquiétude s’était rapidement transformée en un étonnement plein d’intérêt lorsque, dans ces deux voix échangeant des propos sans aménité, ils avaient reconnu celles de Léon Sénécal et de Suzanne Legault.