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Page:Baudry - Rue Principale 1 les Lortie, 1940.djvu/237

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LES LORTIE

Ninette était rentrée du cinéma les yeux rouges. Marcel, tout en nouant sa cravate, la surveillait du coin de l’œil. Pourquoi avait-elle pleuré ? Que lui avait-on dit ? Que lui avait-on fait ? Il avait appris depuis longtemps, qu’il ne servait pas à grand chose de questionner sa sœur. C’était une Lortie, et les Lortie n’avaient jamais été gens à colporter leurs malheurs et leurs ennuis. Il était aussi dur de forcer leurs confidences que les portes d’un coffre-fort. Quand ils voulaient en faire, ils les faisaient d’eux-mêmes ; et la meilleure façon de les rendre muets, c’était encore de les inviter à parler. Marcel fit donc celui qui n’avait rien remarqué.

Bien lui en prit car, tandis qu’il brossait son chapeau, Ninette lui demanda :

— Es-tu bien pressé, Marcel ?

— Ma foi non, répondit-il, pas trop. Je m’en vais chez monsieur Bernard. Tu viens pas ?

— Non merci, j’aime mieux pas sortir ce soir.

— T’es pas malade ?

— Oh ! non, Marcel, non. Assieds-toi donc une minute avant de mettre ton paletot. Je voudrais te parler.

Marcel déposa brosse et chapeau, approcha une chaise du fauteuil de Ninette et, pressentant le sérieux de ce qu’allait lui dire sa sœur, s’abstint de plaisanter.

— Je t’écoute, dit-il, plus intrigué qu’il ne le laissait paraître.

— Marcel, commença Ninette, monsieur Bernard m’a dit ce midi qu’il allait te confier une grosse partie du travail du Clairon, et qu’il te donnerait trente piastres par semaine pour ça.

— Il en est question, répondit Marcel.

— Tu peux compter ça comme une chose faite. Quand monsieur Bernard décide quelque chose, il ne change pas d’avis sans raison.