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Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/131

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repos ; la préface, „à sa Sainte“ en est pour nous la partie la plus remarquable.

Des Autels est un des meilleurs critiques du siècle — un peu batailleur de sa nature, il est vrai, — mais les idées qu’il expose prouvent de nouveau la rare intelligence qu’on a remarquée dans sa Réplique à Louis Meigret. Cette fois encore il ne résiste pas à la tentation de nous dire son opinion sur le développement de la poésie française. Notre France, dit-il, pour la plus grand part, a eu toujours les yeux sillés au jugement de la poésie. Il n’y a que quatre ou cinq ans au plus que l’on estimoit la souveraine vertu des paroles françoises, non moins en vers qu’en prose, estre la propriété — opinion tant dommageable qu’elle nous bannit de la plus féconde partie de l’élégance, et contrainct nos rimes de se traîner toujours comme des serpents sus la terre. Donc nous sommes bien tenuz à la Délie, laquelle (combien qu’elle ait quelques ans demeuré sans crédit sus le vulgaire) a enhardy tant de bons esprits à nous purger de telle peste. Mais (comme la vertu au milieu des vices) je désirerais la fin d’un autre avis contraire et plus pernicieux, que je voy pulluler entre ce peuple, voyre s’enraciner au cerveau de ceux qui se meslent d’aristarquiser : c’est de n’estimer rien bon et digne d’un poète, qui soit propre, et vouloir partout avoir de tropes, voyre des ainigmes etc.

Nous avons déjà parlé plus haut de l’admiration que Pontus de Tyard professe à l’égard de Maurice Scève dans ses œuvres en prose, surtout dans le Solitaire second, qui traite de la fureur poétique et qui, tout en imitant les dialogues de Platon, résume les doctrines poétiques de la Pléiade et de ce groupe de poètes méridionaux dont les noms principaux sont Maurice Scève, Jacques Peletier, Pontus de Tyard et Guillaume des Autels. Malgré la grande importance de ce dialogue, il est resté jusqu’à aujourd’hui presque inconnu[1].

L’occasion de faire la connaissance personnelle de Joachim du Bellay s’offrit, bientôt après ces événements, à Maurice Scève, à des Autels et à Pontus de Tyard. Au mois de mai 1553, l’auteur de la Deffence et Illustration de la langue française partit pour Rome à la suite de son célèbre parent, le cardinal Jean du Bellay. En passant par Lyon, ils y firent un séjour dont nous ne connaissons pas la durée, mais on ne peut douter que le poète de l’Olive n’ait recherché à cette occasion l’amitié de Maurice Scève. Un sonnet des Regrets, composé très probablement pendant ce séjour, nous prouve que l’admiration de Du Bellay pour le chantre de la Délie et pour son œuvre n’avait point diminué dans un commerce plus intime.

  1. F. Brunetière, Revue des deux mondes. 15 déc. 1900. p. 909.