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Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/72

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Le changement qui s’accomplit en Despériers pendant son séjour à Lyon, qui, excepté quelques absences passagères, dura jusqu’à sa mort, est fort singulier et très significatif pour la société lyonnaise. À son arrivée, il est plein de l’esprit des réformateurs, puisqu’il vient d’achever, avec Olivétan, la traduction de la Bible ; au cours de son séjour il devient gai, bon vivant, versificateur facile et élégant ; au point de vue religieux, il devient sceptique, peut-être athée, et finit par le suicide. — À la même époque et dans la même ville, le développement inverse s’est fait chez un autre poète. Au commencement de son séjour à Lyon, Eustorg de Beaulieu est un homme assez sceptique et un des poètes les plus licencieux que la France ait jamais eus. Mais poète et libertin repentant, il se transforme en ministre calviniste pour finir sa carrière littéraire par des traités de morale adressés aux jeunes filles.

L’homme le plus vagabond de la Renaissance française, François Rabelais n’a séjourné nulle part aussi longtemps qu’à Lyon, qu’il appelle sedes studiorum meorum. Il y est depuis l’été 1532 jusque vers la fin de 1538 n’interrompant son séjour que par ses deux voyages à Rome et un autre à Paris et à Montpellier. Il ne devient pas comme Despériers le poète à la mode, car il n’est pas fait pour les salons élégants et les cours brillantes. C’est pour le peuple qu’il écrit ses almanachs qui sont tous calculés sur le méridional de la noble cité de Lyon. Il trouve du reste ses amis dans la sociétés des humanistes. En feuilletant les recueils de vers latins de Visagier, de Ducher, de Bourbon et de Dolet, on rencontre son nom assez souvent ; les vers que nous avons cités à la page 86 prouvent ses relations d’amitié avec l’un des Scève, ou avec les deux. Cela s’explique facilement : Rabelais travaille dès son arrivée à Lyon pour l’officine de Sébastien Gryphe comme éditeur de quelques ouvrages de médecine et de la Topographie de Rome par Marliani ; Guillaume Scève y était donc son supérieur. La même année 1535 et dans la même imprimerie où Maurice Scève publie la déplourable Fin de Flamete, Rabelais fait paraître le Gargantua dont les premières éditions semblent s’adresser à un public surtout lyonnais, étant pleines de termes lyonnais et d’allusions locales que Rabelais effaça quand ses livres prirent leur vol à travers l’Europe[1]. — Rabelais était lié également avec Étienne Dolet qui fut l’ami intime des deux Scève.

Quant à la vie que Rabelais a menée à Lyon, on en sait très peu de chose. Nous avons seulement deux faits à relever :

  1. Bertrand, Alexis. Le séjour de Rabelais à Lyon. Lyon. s. d.