Aller au contenu

Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 78 —

En feuilletant le petit recueil, on se persuade aussitôt que ce ne sont pas là les vers d’un disciple de Marot. On y trouve de nombreux dizains, huitains, quatrains et chansons, mais point de rondeaux, ballades, chants royaux ou aultres telles épiceries. L’inspiration elle aussi a changé depuis les temps de Majrot et de Saint-Gelais ; à chaque page on remarque des traces du platonisme.

On se persuade facilement que toutes ces poésies sont adressées à un même personnage, homme célèbre pour ses vastes connaissances scientifiques, pour sa vertu, sa chasteté même ; poète illustre par son éloquence et sa „faconde“, par sa plume en douceur tant fluante et son esprit qui esbahit le monde. Pernette aime cet homme non point pour sa beauté, mais parce qu’il a changé la nuit d’ignorance qu’elle avait dans son âme, en gaie lumière de science et de liberté. Ces circonstances seules suffiraient à nous faire identifier ce personnage avec Maurice Scève.

Mais voici une preuve qui ne laisse aucun doute sur le nom de l’homme objet de tant de vers amoureux. Un des premiers et plus caractéristiques des dizains imprimés dans les Rymes est conçu de la façon suivante :

Puisqu’il t’a pieu de me faire congnoistre
Et par ta main le vice a se mver.
Je tascherai faire en moy ce bien croistre
Qui seul en toy me pourra transmuer ;
C’est à sçavoir de tant m’esvertuer
Que congnoistras que par égal office
Je fuirai loing de l’ignorance le vice.
Puisque désir de me transmuer as
De noire en blanche, et par si hault service
En mon erreur ce vice mveras.

Les mots en caractères relevés par l’impression forment deux fois l’anagramme de Mavrice Scève[1].

On pourrait objecter encore que cet amour de Pernette du Guillet pour Maurice Scève, ne fut pas payé de retour et que Pernette ne fut par conséquent pas la Délie du poète. Mais une lecture plus attentive des Rymes nous amène au contraire à l’identification. Tous ces vers respirent le bonheur d’un amour réciproque et l’assurance d’une foi parfaite. Pernette n’exprime nulle part une incertitude ou un doute sur les sentiments du poète qu’elle adore, qui l’a chantée, comme elle dit ; et son plus grand soin est de pouvoir payer par des louanges semblables, les louanges poétiques dont elle a été l’objet.

  1. Dans un autre dizain, Pernette appelle son amant de nom et de faict trop sévère. (Allusion au nom de Scève).