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Page:Baur - Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise, 1906.djvu/98

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hommes dont les aspirations à l’amour et à la beauté avaient pris un essor plus haut. Même en Italie, Maulde de Clavière a oublié de nous le dire, il n’y avait que les princesses et les courtisanes qui pussent s’appeler vraiment des femmes de la Renaissance.

Pour comprendre rapparition de ces courtisanes du seizième siècle, il nous faut sortir des conceptions morales de l’époque actuelle et du christianisme pour entrer dans le gai paganisme des Italiens de la Renaissance. Leur idéal de vertu était bien différent du nôtre, qui est avant tout passif. La virtù italienne est en première ligne la puissance, c’est à dire la force et l’art de développer son individualité dans une vie affranchie de préjugés ; et selon les tempéraments, cette virtù s’applique à l’art, à la science, ou aux ambitions politiques, ou à l’amour. Dans l’épître liminaire des Rymes de Remette du Guillet, Antoine du Moulin parle de la vertu d’une façon qui ne diffère guère de celle que nous venons d’exposer.

Cette morale explique l’estime dont jouissaient les courtisanes italiennes, et que souvent les femmes honnêtes enviaient. Les poètes italiens[1] rivalisaient à chanter les courtisanes qui glorifiaient l’amour pur avec autant et plus de conviction que n’importe qui ; et — comme il y avait une contradiction éclatante entre la morale pratique du jour et le style lyrique, ce dernier n’ayant point changé depuis Pétrarque — on ne se gênait guère pour célébrer même la chasteté de ces femmes, et cela dans des termes plus enthousiastes encore que ceux du chantre de Laure[2]. En France, les maîtresses royales. Madame d’Estampes et Madame de Chasteaubriant, occupent une place toute semblable dans la poésie officielle.

Quiconque a étudié tant soit peu la civilisation de la Renaissance italienne, ne peut guère douter que Louise Labé n’ait été cortigiana onesta. Aucun document ne contredit cette hypothèse — pas même le témoignage de Paradin.

Tout ce qu’on a allégué jusqu’à ce jour contre sa qualité de femme vénale : son origine de bonne famille bourgeoise, son mariage avec un cordier assez riche, son amitié pour Clémence de Bourges, les compliments que lui ont adressés des personnages

  1. Entre autres Vittoria Colonna et Michel-Ange.
  2. Voilà qui explique même les louanges de Paradin concernant la grand chasteté de Louise Labé et de Pernette du Guillet. Compaiez à ce sujet la lettre qu’un anonyme adresse sous le pseudonyme „Apollo“ à Isabelle d’Esté : Il vient d’arriver ici une gentille dame, si réservée dans son tnaintien, si séduisante de ses manières qu’on ne peut s’empêcher de lui trouver quelque chose de vraiment divin ; elle chante à livre ouvert toute sorte d’airs et de motets, elle a dans sa conversation un charme sans pareil ; elle sait tout, on peut lui parler de tout. Personne ne saurait ici lui être comparée, pas même la marquise de Pescare. Il s’agit de TuUia d’Aragona (Maulde, op. cit. p. 499).