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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/167

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APAFI.

tholique dans l’ouvrage de don Nicolas Antonio. Ils font semblant de ne vouloir pas attaquer le cardinal de Aguirre, qui a soutenu les frais de l’impression de cet ouvrage ; mais il est facile de s’apercevoir qu’ils l’attaquent indirectement. Ils supposent qu’un janséniste a corrompu en cet endroit-là le texte d’Antonio. Voici le fond de l’affaire. Cet auteur reconnaît pour catholique cette proposition de Prudence, évêque de Troyes, que le sang de Jésus-Christ a été versé pour tous les croyans, mais non pas pour ceux qui n’ont jamais cru, qui ne croient et qui ne croiront jamais : Quòd sanguis Christi effusus sit pro omnibus credentibus, sed non pro iis qui nunquàm crediderunt, nec credunt, nec credituri sunt. L’auteur de l’imprimé montre que cette proposition a pu être considérée comme catholique, et qu’ainsi l’on n’a eu aucune raison de rendre suspecte la foi de don Nicolas Antonio, ou celle de M. le cardinal d’Aguirre. Notez que cette éminence s’est fort déclarée contre les casuistes relâchés [1], et qu’on croit que c’est la cause des mauvais offices que les jésuites tâchent de lui rendre.

Apparemment ce ne seront pas les seules plaintes que l’on portera aux tribunaux contre ces deux tomes de la Bibliothéque d’Espagne. Je ne les ai point encore vus, et je doute qu’il y en ait aucun exemplaire dans les Provinces-Unies [2] ; mais je sais pourtant que l’auteur s’est déclaré avec la dernière force contre le prétendu Luitprand, et contre Higuera, qui le mit au jour, et qu’il a fait main basse sur Aubert de Séville, sur les Chroniques de Dexter, sur Maxime, sur Julien, etc. Un jésuite espagnol [3] le remarque dans un ouvrage qu’il a publié en faveur de ses confrères d’Anvers, compilateurs des Acta Sanctorum. C’est là que j’ai vu quelques passages de don Nicolas Antonio sur ce sujet. Mais comme le marquis d’Agropoli, grand d’Espagne à double titre, n’a pu combattre ces historiens fabuleux, sans s’exposer au chagrin d’être déféré à l’inquisition comme un écrivain traître à sa patrie [4], je ne puis comprendre que les moines de ce pays-là soient capables de laisser en repos la mémoire de notre Nicolas Antonio.

  1. Voyez sur cela plusieurs extraits de ses livres dans le Mémorial d’un janséniste, que je citerai à l’article de Bellarmin, remarque (H).
  2. J’écris ceci le 8 de février 1699.
  3. Antonius Xaramilius, in Apologiâ pro Veritate, pag. 160, 161. Cet ouvrage, traduit d’espagnol en latin par le jésuite Pierre Cant, a été imprimé à Anvers, l’an 1698.
  4. Voyez l’article Vespasien, remarque D.

APAFI (Michel), prince de Transilvanie, fut promu à cette principauté l’an 1661, sans qu’il y songeât. Ali Bassa, qui avait contraint Kimin-Janos d’abandonner la Transilvanie, craignait de ne pouvoir pas l’empêcher d’y revenir, et d’y rendre son parti supérieur par le moyen des troupes impériales. Il résolut donc de lui opposer un prince élu par les états du pays, sous la protection de la Porte. Pour cet effet, il demanda aux députés des villes de Transilvanie, s’il n’y avait pas dans les lieux qui s’étaient soumis à ses armes quelque grand seigneur transilvain qui fût digne de la principauté [a]. Ils lui indiquèrent Michel Apafi, qui se tenait dans son château d’Ebestfalve, et qui se sentait encore des longues incommodités qu’il avait souffertes parmi les Tartares, dont enfin il se voyait délivré, moyennant une très-grosse rançon. Ali l’envoya chercher, sans lui faire dire son dessein. Apafi crut qu’on l’allait faire mourir (A), et n’osa néanmoins refuser de suivre l’escorte qu’on lui avait envoyée. Sa femme, prête d’accoucher, se trouva dans de mortelles alarmes, le comptant déjà pour perdu. Il apprit, avant que d’être sorti de ses terres, qu’elle était heureu-

  1. Joannes Betlenius, Rerum Transilvaniæ lib. III, pag. 246.