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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/280

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ARCHÉLAÜS.

roi de France ne devait pas venger les injures faites au duc d’Orléans. Notre Archélaüs agissait selon les lumières de la politique : il savait qu’Auguste aimait tendrement son petit-fils ; et, selon toutes les apparences, ce jeune prince devait succéder à son aïeul. Tibère, dans l’île de Rhodes, était dans une espèce de disgrâce, qui ne lui présageait point l’empire. Archélaüs croyait ne hasarder rien en le négligeant, et on l’avertit même qu’il se commettrait en cultivant cette amitié. Il crut que tous les honneurs qu’il rendait à Caïus César seraient un fonds assuré de biens et de récompenses pour toute sa vie. Il se trompa : il ne connut pas assez l’habileté de Livie à débarrasser pour son fils le chemin du trône. Caïus, et son frère, ne vécurent pas long-temps : elle en savait apparemment la raison. Après tout, la plus fine politique est le plus souvent de ménager, lors même qu’ils sont en disgrâce, tous ceux qu’on voit dans la route du grand pouvoir [1]. Apportons les autorités qui nous apprennent le ressentiment de Tibère : Rex Archelaüs, c’est Tacite qui parle [2], quinquagesimum annum Cappadocia potiebatur, unvisus Tiberio quòd eum Rhodi agentem nullo officio coluisset : nec id Archelaüs per superbiam omiserat, sed ab intimis Augusti monitus, quia florente Caio Cæsare, missoque ad res Orientis intuta Tiberii amicitia credebatur. Dion dit à peu près la même chose : Tiberius Cappadociæ Regem Archelaum, infensus ei quia cùm olìm sibi is supplicâsset, suoque patrocinio usus, cùm ab incolis apud Augustum accusaretur, fuisset, Rhodi se neglexisset, ad Catum in Asiam venientem officiosè coluisset, insimulatum quasi novis rebus studeret, evocavit Romam [3]. Nous apprenons de ce passage que Tibère se plaignait non-seulement de l’incivilité d’Archélaüs, mais aussi de son ingratitude. La circonstance du lieu pouvait encore aigrir l’’empereur ; car l’île d’Éleuse, résidence d’Archélaüs, n’était éloignée de Rhodes que de quinze mille pas [4].

(H) Tibère le cita, et lui donna le sénat pour juge. ] C’est Dion qui le rapporte : Insimulatum quasi novis rebus studeret, evocavit Romam, ac Senatûs judicio tradidit [5]. C’était donc d’un crime d’état que l’on l’accusait. Tacite ne semble pas donner là : il insinue fort clairement que Tibère eut la bonne foi de ne se plaindre que de l’incivilité d’Archélaüs, et qu’il lui fit espérer que par sa présence et par ses prières, il pourrait obtenir pardon : Ut versâ Cæsarum sobole imperium adeptus est, elicit Archelaum matris litteris, quæ non dissimulatis offensionibus clementiam offerebat, si ad precandum veniret [6]. Cette bonne foi sur l’article des offenses personnelles cachait un piége très-dangereux. Le roi de Cappadoce ne l’aperçut pas, ou n’osa agir en homme qui s’en fût aperçu. Il partit de la main pour se rendre à Rome, fut très-mal reçu de Tibère, et se vit peu après mis en justice : Ille ignarus doli, vel si intelligere crederetur vim metuens, in urbem properat, exceptusque immiti à principe, et mox accusatus in Senatu [7]. Suétone n’a parlé qu’en gros de cette action de Tibère : Reges infestos suspectosque comminationibus magis et querelis quàm vi repressit : quosdam per blanditias atque promissa extractos ad se non remisit, ut.... Archelaum Cappadocem [8]. Je ne sais si Archélaüs, malgré son âge, ne fut point tenter de remuer quelque chose après le décès d’Auguste ; car il est parlé d’un de ses complots [9], qui ne peut concerner que ce temps-là.

(I) L’âge, la goutte.... le firent bientôt mourir. ] Continuons d’entendre Tacite : Hox accusatus in Senatu non ob crimina quæ fingebantur, sed angore, simul fessus senio, et quia regibus æqua nedum infima insolita sunt, finem vitæ spontè an fato implevit. Cet historien ne sait si Archélaüs se fit mourir, ou s’il succomba sous le poids de son infortune ; mais on peut inférer de son récit que ce prince ne fut point condamné, et encore moins

  1. Pomponnius Atticus se trouva bien d’une semblable conduite. Voyez la remarque (A) de son article.
  2. Tacit., Annalium lib. II, cap. XLII.
  3. Dio, lib. LVII.
  4. Strabo, lib. XIV, pag. 448.
  5. Dio, lib. LVII.
  6. Tacit., Annalium lib. II, cap. XLII.
  7. Idem, ibid.
  8. Sueton., in Tiberio, cap. XXXVII. Voyez aussi Eutropii lib. VII.
  9. Philostr., in Vitâ Apoll., lib. I, cap. VII.