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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/608

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AUTRICHE.

princes. ] Rapportons une particularité qui se trouve dans Brantôme. On dit que don Carlos « s’étant découvert de quelque chose d’importance à don Jean, qu’il le révéla au roi d’Espagne, dont il l’en aima toujours davantage, mais mal reconnu depuis : et don Carlos l’en haït si bien, qu’ordinairement ils avaient dispute, jusque-là qu’il l’appela une fois bâtard, et fils de putain ; mais il lui répondit : Si, yo lo soy, mas yo tengo padre mejor que vos ; Oui, je le suis, mais j’ai un père meilleur que vous : et ils en cuidèrent venir aux mains[1]. »

(E) Escovedo, son secrétaire, ayant été envoyé à Madrid,..... y fut tué. ] M. le Laboureur dit qu’il avait lu des mémoires dressés par M. de Peiresc, qui font mourir Escovedo après son maître, et que M. du Vair, qui avait appris cette particularité dans une conversation familière avec Antonio Perez, la conta à M. de Peiresc[2]. Cela mérite d’être examiné. Nous ferons peut-être un article sur Escovedo [* 1], dans lequel nous traiterons de ceci plus amplement, et nous verrons si ce fut avant ou après la mort de don Juan, que l’on sut à la cour d’Espagne les machinations que lui et le duc de Guise avaient tramées. Philippe II n’avait pas tout le tort que l’on s’imagine, et don Juan était capable, avec le temps, de lui susciter plus d’affaires que les Hollandais. Il ne valait guère mieux, par rapport à son souverain, que le duc de Guise. Mais il est vrai que l’humeur jalouse de Philippe, et sa mystérieuse politique, inspiraient le plus souvent, dans sa famille, ces pensées de rébellion. Multi fallere docuerunt, dum timent failli, et aliis jus peccandi suspicando fecerunt[3].

(F) Il se vit sacrifié à la risée des ennemis, par l’impossibilité où on le mettait de leur tenir tête. ] Voilà comment le roi d’Espagne, tout grand politique qu’il était, aimait mieux perdre les Pays-Bas que de ne point satisfaire les jalousies et autres passions cachées qui lui rongeaient l’âme. C’est à cela que les Hollandais sont autant ou plus redevables de leur liberté, qu’à leur bonne et sage conduite. Il y a peu de grandes affaires qui ne réussissent pour le moins autant par les fautes de l’un des partis, que par la prudence de l’autre. Il n’était pas malaisé de faire donner dans le panneau Philippe II, dès qu’on déterrait ses jalousies. Strada se figure que le prince d’Orange écrivit à un de ses amis, à Paris, le mariage de don Juan avec la reine d’Angleterre, et la promesse que le marié faisait de la liberté de conscience à ceux de la nouvelle religion ; qu’il écrivit, dis-je, cela tout exprès, afin d’augmenter les soupçons du roi Philippe : il crut que sa nouvelle ne manquerait pas d’être sue par l’ambassadeur d’Espagne. Quin ad hanc quoque suspicionem regi confirmandam haud sanè dubitaverim aspexisse Orangium, scriptis ad amicum litteris in Galliam, quibus Joan. Austriaci atque Anglæ reginæ conjugium significabat, addebatque, pro suâ in eam rem operâ, spem sibi ab Austriaco factam liberæ per Belgium religionis. Id, quod à Vargâ, Hispano apud Gallum oratore in arcana quæque intento, sollicitè admonitum ferunt Philippum regem[4].

(G) On a cru.... qu’il fut empoisonné. ] Vous trouverez ici les paroles de Strada, et celles de Brantôme. Ex mœrore contabuit, dit Strada[5] : an verò ad hoc quo satis extingui potuit, venenum aliud cujusquam dolo subjectum fuerit (namque in defuncti corpore extitisse non obscura veneni vestigia affirmant qui viderunt) equidem nihil ipse statuerim. Ce pauvre prince, dit Brantôme[6], ne jouit pas longuement de cette belle gloire et louange ; car lui, qui avait tant cherché de mourir dans un camp rude de Mars, alla mourir dans un lit mou et tendre, comme si c’eût été quelque mignon de Vénus, et non un fils de Mars. Il mourut de peste, qu’il avait prise de madame la marquise d’Avré, disait-on, de laquelle il était épris ; mais tout le monde ne dit pas cela, et

  1. * Cet article n’existe pas.
  1. Brantôme, Vies des Capitaines étrangers, tom. II, pag. 117, 118.
  2. Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, par. 889.
  3. Seneca, Epist. III.
  4. Strada, de Bello Belg., dec. I, lib. X, pag. 618.
  5. Idem, ibid., pag. 619.
  6. Brantôme, Vies des Capitaines étrangers, pag. 140.