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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/122

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ZUÉRIUS.

qui sont illicites ? Mais, quoi qu’il en soit, ce que le dénonciateur impute sur ce point-là est visiblement une conséquence qu’il tire de l’hérésie dénoncée, et non pas une des propositions dénoncées. D’où paraît de plus en plus la mauvaise foi du prédicateur dénoncé. Et dès lors on le doit croire très-capable de nier qu’il ait prêché l’hérésie dénoncée, encore qu’il soit très-vrai qu’il l’a prêchée.

IX. Cette même mauvaise foi paraîtra encore très-sensiblement, si l’on considère comment il répond sur les dogmes qu’on dénonce. Comparons la réponse avec les termes de la dénonciation. On l’accuse d’avoir prêché que les sentimens de haine sont bons et louables contre les ennemis de Dieu ; voici sa réponse : Il est faux qu’il ait dit que les sentimens de haine soient bons et louables contre qui que ce soit, à prendre la haine pour une passion humaine qui a son principe dans l’amour-propre. C’est moins jeter de la poudre que de la mauvaise foi aux yeux des lecteurs ; car c’est supposer qu’on l’a accusé d’avoir dit que la haine, lors même qu’elle est une passion humaine qui a son principe dans l’amour-propre, est bonne et louable. Mais il est évident qu’il ne s’agit point de cela : l’accusation ne porte sinon qu’il a dit que les sentimens de haine sont bons et louables contre les ennemis de Dieu. Un homme qui va rondement, et qui ne se sent point coupable, n’use point de telles supercheries : il ne se justifie point sur des chimères dont il n’est pas accusé ; il représente fidèlement le crime dont on l’accuse, et il répond dans le sens net et précis des termes de l’accusation. M. Jurieu en a-t-il usé de la sorte ? a-t-il répondu comme il fallait faire dans le cas d’une juste négation : Je n’ai point dit que les sentimens de haine soient bons et louables contre les ennemis de Dieu ? Nullement ; il a mieux aimé s’embarrasser dans des distinctions captieuses. Je n’ai pas dit que les sentimens d’une haine humaine qui a son principe dans l’amour-propre soient bons et louables contre qui que ce soit. Mais vous avait-on accusé de cela, lui peut-on répondre ? De quoi vous sert une justification de cette nature qui ne se rapporte point à la Dénonciation ? Je passe plus avant, et je soutiens que sa distinction lui coupe la gorge ; elle prouve qu’il a prêché que, pourvu que les sentimens de haine ne soient point fondés sur l’amour-propre, ils sont bons et louables contre les ennemis de Dieu, et ne doivent point être appelés passion humaine : il a donc prêché que ses auditeurs pouvaient haïr légitimement les papistes, pourvu que leur haine ne fût pas fondée sur quelque injure reçue, mais sur la guerre que les papistes font aux vérités que Dieu nous a révélées. Or c’est là ce que le dénonciateur appelle une nouvelle hérésie dans la morale touchant la haine du prochain. Il n’a point fait consister cette nouvelle hérésie dans cette proposition, Il est bon et louable de haïr ses ennemis ; mais dans celle-ci, Il est permis et louable de haïr les ennemis de Dieu : et par conséquent le dénoncé en avoue autant qu’il en faut, et justifie, en dépit de ses chicanes, la bonne foi du dénonciateur.

Ce n’est pas mon affaire d’examiner si l’on a raison de qualifier d’hérésie le dogme qu’on a dénoncé ; je ne cherche que la vérité du fait, et je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avertir personne que ce dogme est réellement une pernicieuse hérésie [1]. Il n’y a que ceux qui n’ont jamais rien compris dans le Nouveau Testament qui puissent douter là-dessus ; et si une fois il était louable de haïr la personne de son prochain pour l’amour de Dieu, il n’y aurait point de précepte de l’Écriture qu’il ne fût permis d’enfreindre pour l’amour de Dieu.

X. Je marque expressément haïr la personne de son prochain, parce que cela me donne occasion de faire connaître tout de nouveau la bonne foi du dénonciateur. M. Jurieu reconnaît qu’il a rejeté cette maxime, Il faut aimer la personne et haïr le vice, non pas comme mauvaise ou fausse, mais comme trop subtile,

  1. Voyez le livre de M. Saurin, intitulé, Examen de la Théologie de M. Jurieu, tome II, pag. 107 et suivantes, où il réfute les Réflexions de M. Jurieu sur la Dénonciation, et lui montre que sa morale sur la haine du prochain est pire que les plus relâchées maximes des jésuites.