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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/174

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des ACCORDS.

certainement ceux qui, à la façon des Allemans, se peuvent contenir à n’embrasser qu’une seule profession : mais il ne faut pas aussi blasmer ceux qui, ayant l’esprit capable d’en manier diverses, les sçavent si bien exercer, qu’en chaque espèce ils ne devront rien ou peu de reste à chacun des particuliers qui s’adonnent à une. L’on sçait assez que l’esprit du François est plein de telle vivacité et varieté, que c’est malgré luy si l’on l’attache à une science seule. Pourquoi donc trouve-t-on mauvais que je laisse aller le temps (que les autres jouent) à cette honneste occupation, qui n’est pas du tout vaine et sans fruit, si l’on y regarde de près ?

Voici une autre raison qui marque en particulier qu’il ne pliait que pendant un temps sous les attaques de ses censeurs, et qu’il n’avait pas dessein de supprimer le deuxième livre, quoiqu’un peu lascif. « Au second, dit-il, [1], je traicte de mesme les périphrases, hyperboles, métonymies, métaphores, synecdoches, etc., avec la plus propre diction françoise que j’ay peu choisir, et si gracieux exemples qu’on ne les pourroit lire sans plaisir. Mais pour ce qu’il y en a d’aussi lascifs et chatouilleux aux oreilles de nos veaux critiques que les premiers, je les laisse pour une autre saison, et suis expressément sauté au quatriesme de plein vol, pour contenter les plus sérieux esprits qui auront de quoy me sçavoir gré d’aucunes inventions non touchées, que je sçache, par aucuns cy-devant. »

(B) L’ouvrage qu’il intitula les Touches fut imprimé a Paris, l’an 1585.] Il le divisa en trois livres, et dédia le premier à un prélat, à Pontus de Tyard, seigneur de Bissy et évêque de Châlons. Il se vante[2] de les avoir faits en deux mois, à Verdun sur Saône, l’an 1585[3], et il dit que ce sont des épigrammes, à qui le surnom de Touches convient véritablement ; car c’est une espèce de légère escrime où, avec l’épée rabattue, je donne simplement une touche qui perce à grand’peine la peau, et ne peut vivement entamer la chair[4]. On avertit ailleurs[5] que touches, selon l’auteur, est un mot tiré des escrimeurs qui appellent touche le coup qu’ils donnent avec leurs épées rabattues, duquel la marque apparoist sur l’habit de celui qui est touché, à cause de la craie dont on blanchit l’épée, etc. Les Touches du seigneur des Accords, qui s’impriment ordinairement à la suite de ses Bigarrures, sont différentes de celles dont je viens de parler.

(C) On lui fit des reproches sur ses obscénités qui l’obligèrent à se justifier. ] J’ai cité ailleurs[6] son apologie, et j’ajoute ici que son imprimeur lui a rendu un témoignage qui la pourrait confirmer. « Qui m’a occasionné, dit-il[7], de mettre en lumière ce que j’en avois de copié avec les libres adjonctions des mots tant sales et lubriques que vous pourriés dire, pourveu qu’ils soient ingénieux ; car encore que l’auteur ayt voulu avoir égard aux chastes aureilles, et sciemment obmettre plusieurs propos, si est-ce que luy, ayant ouy dire à luy-mesme que c’étoit ipsum evitare Priapum, et qu’il y avoit infinis beaux traits qui perdoient leur grâce sans cette liberté ; j’ay enfin mieux aymé suivre sa conception que son conseil. Il me pardonnera si je sonde si avant ce qu’il a dans le cœur, et prendray pour ma défense envers luy ces vers de Catulle :

« Castum esse decet pium poetam
« Ipsum ; versiculos nihil necesse est,
« Qui tum denique habent salem et leporem,
« Si sunt molliculi et parum pudici :[* 1]

« Et oseray bien dire que tant s’en faut que cela offense personne (hormis quelques hyppocrites), qu’au contraire cela servira à la jeunesse d’advertissement de ne se pas tant amuser à ces recherches curieuses, puisqu’elles les verra ici toutes aprestées, et en telle quantité que

  1. * Carm. XVI, vs. 5.
  1. Préface du IVe. des Bigarrures, fol. A iij.
  2. Dans l’épître dédicatoire.
  3. Ceci confirme qu’il ne déféra point aux avis d’Étienne Pasquier.
  4. Épître dédicatoire des Touches.
  5. Avertissement des Touches imprimées avec les Bigarrures.
  6. Dans la remarque (M) de l’article Marot.
  7. André Pasquet, Avis au lecteur, au-devant des Bigarrures.