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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/214

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ACHILLÉA.

Antilochus, etc.[1]. Je m’étonne qu’Ammien Marcellin oublie cela dans l’endroit où il rapporte que cette île était un lieu dangereux. In hâc Tauricâ, dit-il[2], insula Leuce sine habitatoribus ullis Achilli est dedicata ; in quam si fuerint quidam fortè dilati, visis antiquitatis vestigiis temploque et donariis eidem heroi consecratis, vesperi repetunt naves, aiunt enim non sine discrimine vitæ illìc quemquam pernoctare. Peut-être aussi ignorait-il cette particularité.

(B) Le talent de la poésie, dont Calliope l’avait gratifié. ] Il y a des gens qui veulent que quand Plutarque rapporte que Minerve, la déesse des sciences, coula des gouttes de nectar et d’ambroisie à Achille, qui ne voulait rien manger, il nous insinue que ce héros avait une science universelle. Ἡ Ἀθηνᾶ τῷ Ἀχιλλεῖ νέκταρός τι καὶ ἀμβροσίας ἐνέςαξε μὴ προσιεμένῳ τροϕήν[3]. Minerva Achillem nutrimentum respuentem nectare el ambrosiâ instillatis aluit. C’est une des autorités employées par Lorenzo Crasso[4] pour prouver qu’Achille doit tenir rang parmi les poëtes grecs. Dans le langage des pointes, ce serait de la science infuse, ou bien il n’y en aurait jamais eu. Mais, quoi qu’il en soit, les paroles de Plutarque ne servent de rien à prouver ce que Lorenzo Crasso en infère ; il s’agit là d’une véritable nourriture du corps, comme il paraît par le XIXe. livre de l’Iliade d’où elles ont été prises. Homère nous conte que Jupiter s’étant aperçu qu’Achille, après la mort de Patrocle, ne voulait ni manger ni boire, dit à Minerve de lui infuser du nectar et de l’ambroisie dans le corps, afin qu’il ne mourût pasde faim.

Οἱ νέκταρ τε καὶ ἀμβροσίην ἐρατείνην.
Στἀξον ἐνὶ ςήθεσσ᾽ ἱνα μὴ μιν λιμός ἵκηται.

Ei nectarque et ambrosiam amabilem
Instilla in pectora, ut ne ipsum fames occupet[5].

C’est à Philostrate qu’il faut recourir pour prouver que ce Héros a été poëte[6]. C’est un témoin qui parle fort clairement là-dessus.

(C) Maxime de Tyr et Arrien ne disent pas des choses moins surprenantes. ] Celui-là dit qu’Achille demeurait dans une île proche du Pont-Euxin, à l’opposite du Danube, et qu’il y avait des temples et des autels ; qu’on aurait eu bien de la peine à y descendre avant que d’avoir offert des sacrifices ; que l’équipage des vaisseaux avait souvent vu Achille sous la figure d’un jeune blondin qui, avec ses armes d’or, dansait une danse guerrière : quelques-uns l’entendaient chanter sans le voir ; d’autres le voyaient et l’entendaient tout ensemble. Il arriva que quelqu’un s’étant endormi sans y penser dans cette île, fut éveillé par Achille, et conduit dans une tente où on lui donna à souper. Patrocle versait à boire, et Achille jouait de la lyre : Thétis et les autres Dieux étaient présens[7]. Arrien avait ouï dire, et le croyait, que ceux qui étaient jetés sur cette île par quelque tempête, allaient consulter l’oracle d’Achille pour savoir s’il leur était expédient de lui immoler la victime qu’ils choisiraient eux-mêmes au pâturage ; qu’en même temps ils consignaient sur l’autel le prix qu’elle leur semblait valoir ; que si l’oracle rejetait leur proposition, ils ajoutaient quelque chose à ce prix jusqu’à ce qu’ils pussent connaître, par son acquiescement, qu’ils avaient atteint la juste valeur ; que cela fait, la victime se présentait d’elle-même au temple, et ne s’enfuyait plus ; qu’Achille apparaissait en songe à ceux qui s’approchaient de l’île, et leur montra le lieu qui était le plus commode pour l’abordage ; qu’il se montrait aussi quelquefois à ceux qui veillaient, etc.[8]. Arrien trouvait cela digne de foi, entre autres raisons, parce qu’Achille était mort jeune, et qu’il avait été extrêmement beau, et si constant en amour et en amitié, qu’il voulut même mourir pour l’objet de ses amours, ὡς καὶ ἐπαποθανεὶν ἐπαποθανεῖν ἑλέσθαι τοῖς παιδικοῖς. L’équivoque de ce dernier mot, et la moindre réflexion sur le péril où il s’exposa afin de ven-

  1. Pausan. lib. III, pag. 102.
  2. Amm. Marcell. lib. XXII, cap. VIII.
  3. Plutarch. de Facie in orbe Lunæ, pag. 938. edit. Paris. anno 1624.
  4. Istoria de Poeti Greci, pag. 6, où il rapporte la version latine de Plutarque comme s’il y avait aluit, et non alluit. Aluit est pour le moins aussi bon.
  5. Homer. Iliad. lib. XIX, vs. 347.
  6. Philostr. Heroïc. in Achille, fol. 319 ; et in Neoptol. fol. 338.
  7. Maximus Tyrius, Oratione XXVII.
  8. Arrian. in Periplo Ponti Euxini.