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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/395

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ALAIS.

ment de Marcellin : et sur ce pied-là, il me semble que hoc transito se doit rapporter à Tanaïs, puisque outre que les Massagètes n’ont point habité entre le Tanaïs et le Danube, nous voyons que peu après cet historien met les Alains au voisinage des Amazones, et qu’il les fait courir en brigands, d’un côté jusque dans la Médie et dans l’Arménie, et de l’autre jusques aux Marais Méotides et au Bosphore Cimmérien. Parte aliâ prope Amazonum sedes Alani sunt Orienti adclines, diffusi per populosas gentes et amplas, Asiaticos vergentes in tractus quos dilatari ad usque Gangen accepi fluvium[1]... latrocinando et venando adusque Mæotica stagna et Cimmerium Bosphorum, itidemque Armenios discurrentes et Mediam[2]. Toutes ces choses témoignent qu’il n’a pas suivi le sentiment des auteurs qui ont placé les Alains dans la Sarmatie de l’Europe ; car qui s’aviserait jamais de donner pour une chose notable, que des brigands, situés en ce lieu-là, ravageassent non-seulement la Médie et l’Arménie, mais aussi les Marais Méotides ? Marcellin ne serait pas le seul qui mettrait ces barbares dans l’Asie. M. de Valois ne cite-t-il pas Procope[3], qui les met entre le Caucase et les Portes Caspiennes ? Au reste, que veut dire M. Moréri par ces paroles : Pline les met dans la Sarmatie de l’Europe, où est aujourd’hui la Lithuanie ? Il veut dire sans doute, en cas qu’il sache parler nettement français, que la Sarmatie des anciens est la Lithuanie d’aujourd’hui ; mais cela est faux ; car la Lithuanie n’est qu’une petite portion de l’ancienne Sarmatie européenne. Remarquez que Ptolomée reconnaît deux sortes d’Alains, les uns en Europe, les autres en Asie.

(B) On les représente cruels et sauvages. ] Ils n’avaient point d’autres maisons que leurs chariots. C’était là qu’ils faisaient et qu’ils nourrissaient leurs enfans ; et ils ne s’arrêtaient en un même lieu, qu’autant que le pâturage y durait. La chair et le lait étaient leur seul aliment ; ils ne labouraient point la terre : Nec enim ulla sunt illis tuguria, aut versandi vomeris cura : sed carne et copiâ victitant lactis, plaustris supersidentes.… absumptisque pabulis velut carpentis civitates impositas vehunt, maresque supra cum feminis coëunt, et nascuntur in his et educantur infantes[4]. Ils s’accoutumaient de bonne heure à monter à cheval, et ils regardaient comme une bassesse de marcher à pied. Ils aimaient tellement la guerre, qu’il estimaient heureux ceux qui y perdaient la vie, et qu’ils accablaient d’injures et de reproches de lâcheté ceux qui mouraient de vieillesse ou de maladie. Il n’y avait rien de quoi ils tirassent plus de vanité que d’avoir tué un homme. Ils coupaient la tête à ceux qu’ils tuaient, ils les écorchaient, et ils employaient cette dépouille à des ornemens de leurs chevaux. Ils n’avaient aucun temple, et ils ne rendaient de culte qu’à une épée nue fichée en terre : c’était leur dieu Mars, patron des pays où ils habitaient. Ils devinaient l’avenir, par le moyen de quelques verges choisies avec des enchantemens : Judicatur ibi beatus, qui in prælio profuderit animam : senescentes enim et fortuitis mortibus mundo digressos, ut degeneres et ignavos conviciis atrocibus insectantur : nec quidquam est quod elatiùs jactent, quàm homine quolibet occiso : proque exuviis gloriosis, interfectorum avulsis capitibus detractas pelles pro phaleris jumentis accommodant bellatoriis. Nec templum apud eos visitur, aut delubrum, etc.[5]. C’est là la peinture qu’Ammien Marcellin nous fait de ces Barbares ; et il est bon de représenter à ceux qui ne voient que des peuples civilisés, qu’il y en a d’autres si féroces, qu’on a plus de sujet de les prendre pour des bêtes brutes, que pour une partie du genre humain. Cela peut fournir bien des réflexions, tant physiques que morales, et faire admirer les plis infinis dont notre nature est susceptible, et dont pour un bon l’on peut compter plus de cent mille mauvais.

  1. Ibidem.
  2. Ibidem.
  3. Henr. Valesius in Marcell., lib. XXXI, cap. II.
  4. Amm. Marcell., lib. XXXI, cap. II.
  5. Ibidem.

ALAIS, ville de France dans les Sevennes, au diocèse de Nî-