Aller au contenu

Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/472

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
426
ALÉANDRE.

regret. Lorenzo Crasso rapporte que Scraderus a inséré dans ses Monumens d’Italie l’inscription sépulcrale d’Aléandre, avec la version latine des deux vers grecs[1]. Cette version est la même que Paul Jove a rapportée : elle n’est guère moins mauvaise que celle-ci : Non invitus obii ; quia quiesco, testis multorum quæ videre pejus est morte[2]. Voilà ce qu’on gagne quand on se sert d’une langue peu connue : toute la force et toute la grâce du distique grec ont échappé aux traducteurs.

Mettons ici une remarque qui m’a été communiquée par un habile homme : Josse Gentin, dans sa lettre à Nauséa, dit qu’Aléandre, trois jours avant sa mort, ayant mis ordre à toutes choses, servitoribus et aliis præsentibus, pronunciavit suum quod fieri cupiebat epitaphium, quod hoc disticho clausit, Κατθανον, etc. Cela fait voir que l’épitaphe ne consistait pas entièrement dans ces deux vers ; mais que ces deux vers étaient seulement la clôture de l’épitaphe. Je ne suis point de ce sentiment : je crois que Gentin a voulu dire que son maître renferma dans ce distique toute l’inscription qu’il ordonna que l’on mît sur son tombeau.

(I) Érasme fait souvent mention de lui dans ses lettres, et presque toujours en mal. ] Aléandre, bouillant de son naturel, et intéressé d’ailleurs à la ruine du luthéranisme, par sa qualité de nonce envoyé en Allemagne pour étouffer ce parti dans le berceau, n’avait pu souffrir la modération d’Érasme[* 1]. Ce ne fut pas tout : les ennemis d’Érasme ne cessèrent de le diffamer, comme fauteur du luthéranisme ; ainsi l’amitié et l’estime réciproques, qui avaient été entre lui et le nonce, souffrirent une grande diminution au premier voyage d’Aléandre en Allemagne : Hieronymum Aleandrum, nuncium apostolicum, hominem apprimè ductum mihique vetere ac jucundissimâ necessitudine conjunctum, miris mendaciis in me conati sunt irritare…. Quid multis ? persuaserant homini, ut acri simplicique insenio prædito, ita credulo, me parùm amicè de ipso et sentire et loqui. Nec defuerunt, qui coalescentem amicitiam novis subindè delationibus discinderent [3]. C’est parler bien faiblement des mauvaises dispositions d’Aléandre, s’il est vrai, comme on n’en peut guère douter, que ce soit lui que l’on ait désigné ailleurs[4] par le titre de porteur de bulles, Διπλωματοϕόρος ; car ce porteur de bulles fit tout ce qu’il put pour perdre Érasme ; et bien en prit à ce dernier, que l’empereur ne voulut pas faire tout ce qu’on lui demandait : Me quominus oppresserit per illum non stetit : perierat Erasmus, si pronas aures principum reperisset. Une lettre qu’Érasme avait écrite à Luther, et que les amis de celui-ci rendirent publique, irrita si fort Aléandre, qu’il tâcha de ruiner son ancien ami, tant auprès du pape qu’auprès de l’évêque de Liége : Hæc (epistola) dedit ansam Aleandro jampridem iniquo in me animo ut me perditum iret, conatus Leonis animum irritare in me, simul Leodiensis episcopi qui priùs penè deperibat, ut ità loquar, in Erasmum. Nam ipse Leodiensis ostendit mihi litteras quas ad eum è Româ scripserat Aleander satis odiosè me attingentes[5]. Il affecta de dire que les hérétiques avaient trouvé dans les ouvrages d’Érasme le fondement de toutes leurs fausses doctrines : Jam audio multis persuasum ex meis scriptis exstitisse totam hanc ecclesiæ procellam. Cujus vanissimi rumoris præcipuus autor fuit Hieronymus Aleander, homo, ut nihil aliud dicam, non superstitiosè verax[6]. Il ne se contentait pas de mordre sur la religion d’Érasme, il médisait aussi de l’érudition et des ouvrages de ce grand homme. Cela paraît par une lettre qu’Érasme lui écrivit en l’année 1524

  1. * Leclerc a fait en réponse à Bayle l’apologie d’Aléandre ; mais c’est à l’article Érasme qu’il avait renvoyé et qu’il a inséré ses longues et nombreuses notes. Sans citer Leclerc, Joly les a transposées et reproduites ici.
  1. Lor. Crasso, Istor. de’ Poeti Greci, p. 278.
  2. Chytræus, lib. XVII, folio 458, la rapporte. Voyez Seckendorf, liv. I, pag. 128, let. h.
  3. Erasmi Epistola XXIV libri XVII, p. 767.
  4. Dans la XXIVe. Lettre du XXVe. livre, pag. 1379.
  5. Erasmi Epistola CXIII libri XIX, p. 949.
  6. Idem, Epistola LXXXIV libri XX, p. 1040.