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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/573

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AMMONIUS.

de Capoue ; Zacharie, évêque de Chrysople ; Trithème, et plusieurs modernes, s’appuyant sur l’autorité de saint Jérôme, et ne faisant aucune attention à la lettre d’Eusèbe que j’ai citée, font Ammonius l’inventeur des Canons Évangéliques. Voici une autre confusion. Il y a dans la Bibliothéque des Pères deux Harmonies des quatre Évangiles. L’une fut attribuée à Tatien par Victor, évêque de Capoue, qui, vers l’an 545, la traduisit en latin [1], et y joignit une préface[2]. De là est venu que l’autre Harmonie a été donnée à Ammonius. Mais on a fait tout le contraire de ce qu’il fallait. L’Harmonie, que l’évêque de Capoue a donnée à Tatien ne peut pas être de cet auteur, puisqu’elle contient toutes les généalogies de Jésus-Christ que les évangélistes ont rapportées ; au lieu que Tatien avait ôté de son Harmonie tous les passages des Évangiles qui prouvent que Jésus-Christ est issu de David[3]. D’autre côté, l’Harmonie qu’on attribue à Ammonius est mutilée de ces passages[4]. Sixte de Sienne, George Éderus et plusieurs autres, ont suivi l’erreur de Victor. Mais il y a plus de cinq cents ans que Zacharie, évêque de Chrysople, a fait voir qu’Ammonius est l’auteur de cette Harmonie[5]. Baronius a suivi ce sentiment. Remarquons bien une chose dont le père Oudin nous avertit, c’est que l’Harmonie, qui est sous le nom d’Ammonius dans la Bibliothéque des Pères, imprimée l’an 1575, laquelle Harmonie a été traduite en latin par Ottomarus Luscinius, n’est ni d’Ammonius, ni de Tatien[6]. On a perdu l’ouvrage d’Ammonius de Consensu Mosis et Jesu. Si l’on s’en rapporte à Henri de Valois, on a aussi perdu tous les autres : Hujus Ammonii, quod sciam, hodiè nihil exstat, dit-il dans son Commentaire sur le dernier chapitre du XXIIe. livre d’Ammien Marcellin. Se souvenait-il de l’Harmonie des Évangiles, insérée dans la Bibliothéque des Pères, ou croyait-il qu’elle n’est pas d’Ammonius ? Hadrien de Valois, n’ayant point fait de remarque sur cela dans la seconde édition, a fait assez connaître sa conformité avec son frère.

(H) Je crois qu’on le doit distinguer du péripatéticien Ammonius. ] Un fort savant homme ne penche pas à l’en distinguer. Hic esse videtur, dit-il [7], Ammonius peripateticus philosophus, quem πολυγραμματώτατον fuisse sæculi sui testatur Philostratus in Sophistæ Hippodromi Vitâ, quo qui plura legisset neminem se vidisse. Mais, s’il avait pris garde aux paroles de Longin, rapportées dans la Vie de Plotin, il n’aurait pas balancé à distinguer ces deux philosophes l’un de l’autre. Longin remarque qu’il y a eu des philosophes qui ont composé des livres ; mais qu’il y en a eu d’autres qui n’ont instruit que de vive voix. Il en nomme quelques-uns de chacune de ces deux espèces ; les uns sont platoniciens, les autres sont stoïciens ou péripatéticiens, il met dans la seconde classe Ammonius et Origène, et il les donne pour des sectateurs de Platon. Il dit qu’il les a connus, et qu’ils ont surpassé en intelligence tous les philosophes de leur siècle : ῟Οις ἡμεῖς τὸ πλεῖον τοῦ χρόνου πρόσεϕοιτήσαμεν, ἀνδράσιν οὐκ ὀλίγῳ τῶν καθ᾽ ἑαυτοὺς εἰς σύνεσιν διενεγκοῦσι [8]. Quibuscum nos diù versati sumus, viris profectò intervallo non parvo sui sæculi philosophos intelligentiâ superantibus. Après cela il nomme quelques stoïciens qui ont été aussi de cette seconde classe de philosophes : je veux dire de ceux qui n’ont point écrit ou qui ont peu écrit. Enfin il nomme deux péripatéticiens de la même classe, qui sont Ammonius et Ptolomée. Il dit qu’en matière de philologie ils ont surpassé tous les savans de leur siècle : il dit cela principalement d’Ammonius : Ἀμμώνιος καὶ Πτολεμαῖος ϕιλολογώτατοι μεν τῶν καθ᾽ ἐαυτοὺς ἄμϕω γενόμενοι, καὶ μάλιςα ὁ Ἀμμώνιος· οὐ γάρ ἐςιν ὅςις ἐκείνῳ γέγονεν εἰς πολυμαθείαν παραπλήσιος[9]. Ammonius atque Ptolemæus, disciplinarum ambo profectò maximè

  1. Bellarmin. de Script. Ecclesiast., pag. 226. Oudin, Supplem. de Scriptor. Ecclesiast., pag. 15.
  2. Labbe, de Script. Ecclesiast., pag. 57.
  3. Eusèbe et Théodoret l’assurent. Voyez Labbe, de Scriptor. Eccles., tom. I, pag. 57.
  4. Cave, Hist. Litterar., pag. 572.
  5. Commentar. in eam Harmoniam apud Labbe, de Script. Ecclesiast., pag. 57.
  6. Oudin, de Script. Ecclesiast., pag. 15.
  7. Hadr. Valesius in Ammian Marcellin., lib. XXII, pag. 344, édition in-folio.
  8. Longinus, apud Porphyr. in Vitâ Plotin.
  9. Idem, ibidem.