Aller au contenu

Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
546
AMPHIARAÜS.

la mort de son fils, qui lui estoit décédé en son enfance fort loin de maturité ; car il dit :

Il ne fut onc homme de mère né,
Qui n’ait esté en ses jours fortuné
Diversement : il met ores sur terre
De ses enfans, ores il en enterre,
Lui-mesme après enfin s’en va mourant :
Et toutesfois les hommes vont plorant
Ceux que dedans la bière en terre ils portent,
Combien qu’ainsi comme les espics sortent
D’elle, qui sont puis après moissonnez,
Aussi faut-il que les uns nouveaux nez
Viennent en estre, et les autres en issent.
Qu’est-il besoin que les hommes gémissent
Pour tout cela, qui doit, selon le cours
De la nature, ainsi passer tousjours ?
Il n’y a rien grief à souffrir, ou faire,
De ce qui est à l’homme nécessaire.


« Brief, il faut qu’un chacun soit en pensant en soi-mesme, soit en discourant avec autrui, tienne pour certain, que la plus longue vie de l’homme n’est pas la meilleure. » Il me semble que Plutarque a mal placé ces vers-là, puis qu’ils ne contiennent rien qui ait plus de relation à la mort des jeunes gens qu’à celle des autres. Je puis même dire que la comparaison des épis serait absurde, s’il s’agissait d’apaiser une affliction fondée sur la jeunesse de la personne que l’on pleurerait ; car, selon le train ordinaire, la moisson des grains ne se fait que quand ils sont mûrs. Il vaudrait mieux faire faire de l’attention à la destinée du fruit des arbres. Comptez les pommes quand elles sont en bouton, comptez-les ensuite chaque semaine, vous trouverez que leur nombre va toujours en diminuant. C’est beaucoup si la moitié se conserve jusqu’au temps de la cueillette. Quant au reste, les raisons d’Amphiaraüs sont assez bonnes ; mais elles m’ont rien que de commun : il conclut même par une maxime qui, dans un certain sens, est plus capable d’irriter le mal que de le guérir[1]. Nous verrons bientôt de quelle manière le philosophe Carnéade les critiquait.

Amyot n’a pas bien traduit ce grec de Plutarque, ὁ παρὰ τῷ ποιητῇ Ἀμϕιάρεως, par Amphiaraüs en un poëme. Cette version insinue manifestement qu’Amphiaraüs a fait un poëme ; mais le sens de Plutarque est qu’il y a un poëte qui a introduit Amphiaraüs se servant de ces raisons. Nous allons voir que c’est Euripide : Dicuntur nonnulli in mœrore, quùm de hâc communi omnium conditione audivissent, eâ lege nos esse natos, ut nemo in perpetuum esse posset expers mali, graviùs etiam tulisse. Quocircà Carneades, ut video nostrum scribere Antiochum, reprehendere, Chrysippum solebat laudantem Euripideum carmen illud :

Nemo mortalis est, quem non attingat dolor,
Morbusque : multi sunt humandi liberi ;
Rursùs creandi : morsque est finita omnibus.
Quæ generi humano angorem nequicquam afferunt.
Reddenda est terræ terra[2]. Tùm vita omnibus
Metenda ut fruges : sic jubet necessitas.


Negabat genus hoc orationis quicquam omninò ad levandam ægritudinem pertinere. Id enim ipsum dolendum esse dicebat, quòd in tam crudelem necessitatem incidissemus. Nam illam quidem orationem ex commemoratione alienorum malorum ad malevolos consolandos esse accommodatam[3]. Rapportons aussi la réponse qui a été faite à cette critique de Carnéade : Mihi verò longè videtur secùs. Nam et necessitas ferendæ conditionis humanæ, quasi cum Deo pugnare cohibet, admonetque esse hominem, quæ cogitatio magnoperè luctum levat : et enumeratio exemplorum, non ut animum malevolum oblectet, affertur, sed ut ille qui mœret, ferendum sibi id censeat, quod videat multos moderatè et tranquillè tulisse[4].

(L) Les partisans firent un procès à ses prêtres. ] Qu’il me soit permis d’appeler ainsi ceux qui levaient les tributs de la république romaine dans les provinces. Il y avait une loi qui exemptait de la taille les biens consacrés aux dieux immortels. Sur cela, les prêtres d’Amphiaraüs prétendirent à l’exemption, et soutinrent que les terres qui appartenaient à cette divinité n’étaient soumises à aucune taxe. Le texte de la loi est clair et précis en

  1. Voyez l’article Foulques, remarque (E).
  2. Le vers grec rapporté par Plutarque, de Consolatione, p. 110, et qui répond à ceci, est

    Ἐις γῆν ϕέροντες· τῆν δ᾽ ἀναγκαίως ἔχει.

    Barthius in Statium, tom. III, pag. 275, conjecture qu’il faut lire,

    Ἐις γῆν ϕέροντες γὴν, κ᾽ ἀναγκαίως᾽ ἔχει.

  3. Cicero Tusculan. Quæstion., lib. III, cap. 25.
  4. Idem, ibid.