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Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/126

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chercher le bateau qui se trouvait dans un pré voisin de la Seulière, et, en passant, prévinrent les gens de la veillée.

Il était à peu près dix heures de la nuit, quand le corps de Mathurin Lumineau fut placé pieusement, par des mains amies, dans la grande yole qui servait à transporter le fourrage, et qu’on avait vue si souvent revenir entre les prés, toute chargée de foin nouveau, ayant, au sommet de la meule, un des enfants de la Terre-Aymont qui chantait. On le coucha au milieu, et la mère Massonneau le recouvrit d’un drap blanc, sur lequel elle attacha un crucifix de cuivre. Toussaint Lumineau s’assit à l’arrière, du côté où était la tête de son enfant. À l’avant, se placèrent debout, appuyés sur leurs ningles, les deux fils du Glorieux de la Terre-Aymont. Deux lanternes, à leurs pieds, éclairaient les yoleurs et le chemin.

Et la yole se détacha de la rive parmi les gémissements. Sur le grand canal droit, elle s’avança lentement. Le vent chassait contre elle les brumes du Marais.

Quand elle fut à petite distance de la Seulière :

— Les voilà ! dit une voix. J’entends les ningles et je vois les lumières !

Les portes des deux chambres s’ouvrirent ; la clarté des lampes se répandit au dehors, et éclaira vaguement la motte sur laquelle était bâtie la maison ; quelques menus arbres, au bord du fossé, devinrent tout blonds dans la nuit. Et tous ceux qui veillaient chez les Gauvrit, jeunes gens et jeunes filles, en longue procession, descendirent jusqu’à la berge, pour saluer le malheur qui passait. Pêle-mêle, en costumes de fête, agenouillés dans la boue, leurs tabliers ou leurs chapeaux secoués par le vent, ils regardèrent venir, en silence, le drap blanc qui cachait le corps de l’infirme, leur aîné de bien peu d’années, et le vieux Lumineau, tout courbé à l’arrière, le front rapproché des genoux, immobile comme celui qu’on emportait.

Au dernier rang, il y avait une grande fille, dont le mouchoir bleu et la chaîne dorée luisaient, dans le rayon plus proche qui s’échappait de la porte. Deux de ses compagnes la soutenaient, agenouillées comme elle.

Tous ils se taisaient. Tous ils continuèrent à suivre