Aller au contenu

Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

drale, de Soullans caché dans les arbres des terres montantes. Les volées de grand’messe, le tintement de l’Angélus, les trois sons de vêpres leur laissaient peu de repos. Elles lançaient au loin les mêmes mots entendus bien des fois, compris depuis des siècles : adoration de Dieu, oubli de la terre, pardon des fautes, union dans la prière, égalité devant les promesses éternelles ; et les mots s’envolaient dans l’espace, et se nouaient avec un frisson, et c’étaient comme des guirlandes de joie jetées d’un clocher à l’autre. Parmi les remueurs de terre, les gardiens de bestiaux, les semeurs de fèves, bien peu ne leur obéissaient pas. Les routes, désertes toute la semaine, voyaient passer et repasser, hâtant la marche, les familles qui habitaient aux limites de la paroisse et, plus lentes celles qui demeuraient à distance de promenade. Dans le canal élargi qui aboutit au pied de l’église et sert de port à Sallertaine il y avait toujours quelque yole en mouvement.

Vers le soir, le bruit des cloches cessa. Les buveurs eux-mêmes avaient quitté les auberges, et regagné les métairies assoupies dans la clarté blonde du couchant. Un silence universel envahissait la campagne. Peu bruyante les jours de travail, elle était, à la fin de la semaine, pendant quelques heures, toute recueillie et muette. Trêve dominicale qui avait sa signification grande, où se refaisaient les âmes, où les familles groupées, calmes, songeuses, comptaient leurs vivants et leurs morts.

Mais ce jour-là, la paix fut de courte durée.

Mathurin Lumineau et André se reposaient dans le chemin vert de la Fromentière, en dehors de la haute porte de pierre, sous les ormeaux qui servaient d’abri provisoire aux charrettes et aux herses. L’infirme, couché en demi-cercle sur les traverses de bois d’une des herses, un vieux manteau sur les jambes, se remettait de l’effort et de l’émotion du matin. André, par amitié pour lui, n’avait pas voulu retourner au bourg avec le père, et, étendu à plat ventre dans l’herbe, lisait le journal à haute voix. De temps en temps il commentait les nouvelles, lui qui avait couru le monde ; il expliquait où se trouvaient Clermont-Ferrand, l’Inde, le Japon, Lille en Flandre ; et,