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Page:Beauregard - Le secret de l'orpheline, 1928.djvu/7

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LE SECRET DE L’ORPHELINE

Mlle Favreau s’avise d’une constatation qui amène, en son cœur, une ombre de regret : elle a choisi de se faire poser en buste ce qui fait que ses mains ne paraîtront pas. Ce sera dommage. Elle a de jolies mains dont les proportions résument sa personne même : fines, ni trop longues ni trop courtes, ni trop minces ni trop épaisses. Quel dommage, encore une fois : à demi cachées dans les plis de sa robe foncée, elles eussent fait une petite tache des plus agréables à voir… Mais ce sera pour une autre fois. Georgine a des principes et elle est résolue à ne pas dépenser, pour son portrait, un sou de plus que ce qu’elle a primitivement décidé.

Ainsi affermie dans sa ligne de conduite, elle s’engage dans l’escalier qui conduit directement à l’atelier de Gill.

Celui-ci l’attendait. C’est un jeune homme, l’air d’un adolescent. De taille moyenne, mince, les cheveux d’un châtain clair indécis, le teint ambré, il a un grand front bombé qu’à plaisir, il plisse de rides en voyant s’avancer vers lui Mlle Favreau. D’un coup d’œil qui n’hésite pas il prend son empreinte, si l’on peut dire, la juge, la classe et, finalement invite :

— Voulez-vous prendre place sur ce siège, mademoiselle.

De sa longue main fine, c’est un tabouret qu’il lui indique.

— Mettez-vous à votre aise, suggère-t-il.

Mais déjà, Georgine a pris la pose qu’il fallait. Rien à corriger. Il en fait tout haut la remarque et le rayonnement se fait plus chaud au fond des yeux marron de la jeune fille.

— Vous regardez ici, n’est-ce pas ? Ce ne sera pas long…

Ses doigts ont pressé la poire de caoutchouc.

— C’est fait, déclare-t-il. Maintenant, une autre pose.

À son tour, Georgine analyse et détaille son compagnon. Si jeune, se dit-elle, et déjà si bien assis. Ces Anglais sont vraiment des hommes d’affaires de tout premier ordre. Mais celui-ci est-il aussi jeune qu’il le parait ? Sa chevelure est bien mince. Ses tempes découvertes pourraient bien devoir leur nudité à la calvitie. Enfin, il a certainement l’air distingué, de bon ton. Je comprends qu’il soit recherché surtout s’il possède bien son art.

Troisième pose.

Gill veut que sa cliente sourie. Oh ! elle sait le faire et elle n’a pas honte, non plus, de montrer le bout de ses jolies dents blanches.

Parfait. L’affaire est classée et Georgine peut se retirer. Gill se porte garant du succès.

— Vous aurez, promet-il sur un ton archi-discret d’admiration et tandis que son regard brun clair effleure le visage de la jeune fille, vous aurez un beau portrait. Vous n’êtes pas nerveuse, ajoute-t-il. Les personnes nerveuses sont notre désespoir à nous, photographe. Au moment le moins prévu, une contraction imperceptible au vulgaire vient durcir les traits, gâter la plus charmante physionomie.

Georgine s’en retourne donc, satisfaite d’avoir réglé cette grosse question de sa photographie. Heureuse d’emporter la certitude que son portrait sera bon, contente enfin de n’être pas nerveuse et que ce soit une qualité, photographiquement parlant. Bah ! ne serait-ce pas une qualité tout court ? Qu’y a-t-il de plus fatigant à supporter que ces personnes dites nerveuses, toujours en équilibre instable, toujours à se répandre au-dehors, sans cesse occupées de leurs maux réels ou imaginaires et en accueillant les autres, par surcroît.

Avec son clair bon sens, Georgine ne peut comprendre l’acharnement de certaines personnes à se prévaloir de la tyrannie de leurs nerfs. Croient-elles, par là, se rendre intéressantes ? Mais justement, leur espèce foisonnant de par le monde, l’originalité consisterait bien plutôt à s’en distinguer. Pour sa part, Mlle Favreau est bien résolue à accentuer encore cette maîtrise qu’elle possède de son système nerveux. Elle aura toujours pour elle des approbations de valeur comme celle de Gill.

— Où allez-vous donc, belle enfant ? Quelle gracieuse désinvolture… On croirait que le monde vous appartient.

Georgine éclate de rire puis elle se retourne.

Elle aperçoit la minuscule personne de Charlotte Lépée, une compagne de travail, ses immenses yeux gris, quelque chose de ses cheveux châtains.

— Demandez-moi plutôt d’où je viens, répliqua-t-elle. Ce sera plus intéressant.

Charlotte passe sous le sien son bras maigrelet.