Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/104

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le serpent de mer à crête de coq, mesurant jusqu’à cinquante lieues de longueur ; les sirènes d’Homère, sans cesse poursuivies par le cruel moine-marin ; enfin, le terrible évêque de mer, coiffé de sa mitre phosphorescente. Des harpies, des chimères ailées rasaient cette mer immobile, choisissant une proie parmi des troupeaux de lions, de tigres, d’éléphants marins, d’hippocampes, paissant de vastes prairies d’herbes aquatiles, dont nul vaisseau n’eût jamais pu se dégager.

Et tout cela n’était rien encore : avec de l’adresse, du courage et beaucoup de chance, on pouvait à la rigueur y échapper ; mais, eût-on même évité la fameuse licorne de mer, qui, de sa lance contournée en spirale, pouvait embrocher à la fois les trois caravelles, restaient à affronter des ennemis et des obstacles hors de toute proportion avec les forces humaines.

Du milieu de cet océan chaotique, sortait une main colossale, velue, armée de griffes, la main de Satan, la main noire, et, de cela, il n’y avait pas à en douter : elle était figurée, cette main, sur toutes les cartes du temps.

Du fond de l’abime s’élevait aussi, mais par intervalles réguliers, le dos montueux du kraken, semblable à une île naissante, à une île, les uns disaient deux fois, les autres trois fois grande comme la Sicile. Cet immense polype, dont chaque suçoir, et il en avait autant que la sèche, eût arrêté court la Pinta courant vent arrière, avait coutume d’émerger ainsi tous les jours. De ses évents jaillissaient deux trombes d’eau six fois plus hautes que la Giralda de Séville, Cette eau vomie, il aspirait une égale quantité d’air, ce qui créait des tourbillons dans lesquels la Niña eût pirouetté comme