Aller au contenu

Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
172
GRANDGOUJON

litaires bureaucrates. N’importe : ce papier clouerait le bec au gendarme.

Il appréhendait cependant de revoir cette tête mauvaise et ce nez ridicule ; mais il ne les trouva pas sur la porte. Il entra donc dans la gare et… le gendarme n’attendait pas non plus dans la salle d’attente. Alors, il interpella un employé qui arrosait le plancher.

— N’avez qu’à entrer, dit cet homme.

— Je n’ai… mais…

Il baissa la voix :

— Le Pandore ?

— Couché, dit l’autre, il ronfle.

— Vrai ?… dit Grandgoujon.

Il demeura ahuri !… Ainsi cette complexe histoire ne devait servir qu’à l’hébéter davantage. Au lieu d’être joyeux, il fut mélancolique ; au lieu d’être reconnaissant, il fut piqué ; il pensa : « Quand même, je crois que tous, ils commencent à se f… de moi ! » Il remonta dans son train ; il avala d’un air dégoûté huit sardines de suite, puis il s’endormit.

Il commençait d’avoir un tel arriéré de sommeil, qu’il ne s’éveilla ni au départ, ni le temps qu’il roula, et c’est un graisseur, en gare d’Amiens, qui le secoua le lendemain, au grand jour.

De là, on devait l’aiguiller vers le front, avec son wagon et sa girouette. Mais avant, il essaya d’écrire une carte à sa mère. Dans le brouhaha du quai, parmi des voyageurs, des infirmières, des poilus, des soldats anglais, il sentait un va-et-vient dans sa cervelle, et, mouillant son