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Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/59

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GRANDGOUJON

s’en allait bras dessus bras dessous, plein d’une confiante admiration.

— Quand crois-tu que ça finira, cette saleté de guerre ? demanda-t-il à brûle-pourpoint.

— Oh ! dit Colomb, je suis homme d’action… je ne me perds pas en de fumeuses hypothèses.

— Mais qu’est-ce que tu crois ?

Et, la question posée, Grandgoujon ne se souciait même plus de la réponse. Il était heureux avec Colomb. Instinctivement, lui qui était enclin à la paresse, se sentait enhardi par cet air volontaire et apostolique. Il se dandinait en marchant, et pensait à son menu :

— Qu’est-ce qu’on va commander ?

— Mon cher, je vous ai dit…

— Sois sérieux : je ne t’emmène pas n’importe où ! L’aspect de la boîte ne te dira peut-être rien : c’est un caboulot ; la patronne cuisine elle-même ; et on a les pieds dans la sciure. Seulement… et là, mon vieux, je ne sais comment t’expliquer : toutes les choses qu’on mange dans ce caboulot portent un nom ordinaire, mais ne ressemblent, ni de près ni de loin, à ce qui sert habituellement à l’alimentation des mortels. Exemple : si tu aimes les huîtres, ils ont des huîtres portugaises, mais qui ont un goût de marennes, et c’est la seule maison où on sache ouvrir des huîtres sans leur toucher l’estomac… Autre exemple : aimes-tu le canard écrasé ? Tu ne sais pas ?… Sacrebleu ! Comment est-ce que tu répares tes forces ? Mon vieux, la bonne table c’est la huitième merveille du monde, pour des gens d’une certaine