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Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/70

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GRANDGOUJON

— Celui-là est saoul aussi ?

Grandgoujon fit un bon sourire :

— Non, Monsieur.

— Sergent !

— Oui, sergent.

— Quoi, oui ? V’sêtes saoul ?

— Oh ! Monsieur !

— Sergent !

— C’est vrai… J’ai la tête dure !

— V’s en avez l’air.

Et il appela :

— Quinze-Grammes !

Une voix répondit : « …sent ! », mais rien ne bougea.

— Tu vas me piloter ce bonhomme-là : le faire enregistrer, le passer au magasin, aux douches, et après s’irez aux pommes… Compris ?

Ces mots impératifs, qui roulent tels le tambour, sont creux comme lui pour des malins rompus au métier. Aussi, vit-on se lever lentement et s’étirer longuement, dans l’air fumeux du poste, un soldat, court sur pattes, épaules tombantes, tout maigriot, et de qui l’aspect faisait comprendre le surnom de Quinze-Grammes. Il était curieusement déguisé d’un pantalon en velours cul-de-bouteille, large aux hanches, serré aux chevilles, d’un veston civil agrémenté d’une ceinture de vareuse, et d’un képi couleur crasse, dont la visière avait été cassée par des doigts de faubourien, persuadé que c’est un raffinement dans l’inélégance.

Cette visière faisait ombre sur une figure ché-