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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/110

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Savais-je prédire si juste ? Hélas ! non.

Il avait alors dix-sept à dix-huit ans, et il revenait d’Angleterre, où il s’était sauvé sur un coup de tête, je crois, entravé dans sa vocation par des parents excellents, mais excusablement inquiets de tant en fournir à Thespis. Peut-être son père avait-il jugé, comme celui des demoiselles Clary, à Marseille, que c’était assez d’un Bonaparte dans une famille.

En Angleterre, il avait mené une vie assez précaire, à la Nicolas Nickleby, selon ce qu’il en racontait, et il y avait donné des leçons de dessin dans un pensionnat de filles, ne sachant d’ailleurs ni le dessin ni l’anglais, comme les émigrés de la Révolution.

— Comment t’y prenais-tu ? lui disais-je.

— Bien simplement. J’arrivais derrière mes élèves pendant qu’elles travaillaient d’après la bosse, et je regardais, pensif. Puis, je saisissais le porte-crayon de cuivre, et je mensurais le plâtre, en fermant un œil, à distance, en arpenteur.

— Et alors ?

— Et alors je disais : Wery well ! et je passais à une autre.

— Tu ne craignais pas qu’on te priât de dessiner toi-même ?

— Un professeur ! Elles auraient cru me faire injure. Je mensurais, c’était assez.

Le reste de son séjour à Londres avait été consacré à l’étude de la gigue — qui n’est autre que la danse pyrrhique, me jurait-il savamment, et où il excellait, je dois en rendre témoignage. Puis il revint rapatrié par son aîné, libre enfin de suivre sa pente, et, comme je l’ai dit, ce fut Regnier qui l’y guida.

Les seconds comiques sont moins rares que les