Aller au contenu

Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Coup d’État. Le prolétariat y était représenté par quelques boursiers et tout y était de roture. Aussi dans cette pépinière d’âmes, n’en avions-nous que pour les ennemis déclarés de l’Empire et, entre tous, pour le flagellateur sublime dont le verbe leur jetait le mot d’ordre, à travers l’espace, sur le vent de la mer.

Que de fois, à la pension Favart, qui fut la mienne, debout sur le banc de pierre de la cour de récréation n’ai-je pas déclamé devant mes camarades groupés les strophes vengeresses de ces Châtiments dont un exemplaire m’avait été prêté par l’aumônier lui-même ! Oui, l’aumônier, et Dieu sait pourtant si, avec nous, sa fonction sacerdotale était une sinécure ! Mais, lui aussi, il était hugolâtre. Tout le monde l’était, à Favart, jusqu’au portier. Lorsque j’avais terminé l’ode au milieu des hurrahs, j’arrachais d’un geste héroïque les feuilles d’un vieil arbre de Judée qui ombrageait le banc et, tel Camille Desmoulins au Palais-Royal, je les semais à poignées sur l’auditoire en vociférant : À Guernesey !… comme il avait crié : À la Bastille ! Les surveillants feignaient de ne rien voir ni entendre, ou s’ils intervenaient, c’était pour achever la strophe. Alors, ouvrant la porte de son cabinet, le directeur de l’institution, gros homme bénin et toujours en sueur, s’élançait le mouchoir à la main, et s’affalait sous l’arbre de Judée.

— Mes enfants, pleurait-il, vous voulez donc faire fermer ma boîte !…

Mais comme il était poète lui-même et portait même le nom de David, le harpiste de Saül, nous le couronnions de feuilles tressées, et nous le hissions