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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/152

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rembrandtesque où il avait vu le jour, j’avais été frappé de leur attitude réciproque, attitude à l’allemande, sans expression extérieure, mais où, visiblement, leurs deux êtres vibraient d’une émotion intérieure qui les paralysait. Assis l’un devant l’autre, ils se regardaient en silence. Le père buvait des yeux ce fils, parti depuis si longtemps à la conquête de Paris, et qui lui revenait, pour quelques heures, célèbre, riche et francisé. Et le fils, un peu pâle tout de même, souriait à ce grand échalas à houblon de vieux ferronnier qui, à quatre-vingts ans, menait encore le petit marteau et la cisaille sans lunettes, les mains sûres et la pipe aux babines. Ils n’échangèrent que quelques mots, en néerlandais, s’embrassèrent, et ce fut tout. Mais je sentis bien que l’ancien était ce que mon ami aimait le plus au monde et, je ne sais pourquoi, à l’annonce de son suicide, le tableau de cette visite à Amsterdam s’évoqua tout de suite dans ma mémoire, par quelle corrélation, je l’ignore.

Fritz Kæmmerer était-il de ceux que Maurice Barrès appelle des « déracinés » ? non assurément. Il était devenu Français tout de suite, comme on se rapatrie, dès son entrée dans l’atelier de Gérôme, et il y avait noué, avec Léon Glaize, une de ces amitiés infaillibles qui ne se délient que par la séparation mortelle. En outre, il avait retrouvé dans la famille de son compagnon tout ce qu’il avait pu laisser à Amsterdam, plus, en Mme Glaize, la « maman Glaize », la sollicitude maternelle qui avait, je crois, manqué à son enfance. Il était comme le troisième fils de cette femme admirablement bonne, dont le souvenir seul suffit à m’humecter les yeux. Rien de