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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/177

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comme par un coup de sabre et son regard, sous le binocle, s’adoucissait d’un sourire plutôt mélancolique.

— À qui ai-je l’honneur…

— Voici. Coquelin m’a dit hier que vous en aviez une.

— Une quoi ?

— Une refusée, ou plutôt rendue par le Vaudeville. Ce sont celles que je préfère. La pièce qui, ayant bêtement plu d’abord, a cessé de plaire, se rachète par cette consécration, et je lui octroie immédiatement un tour de faveur.

— Mais…

— Ne récalcitrez pas, et aboulez l’ours de choix. Le théâtre Cluny est un peu loin des Ternes, mais je ferai les répétitions sans vous, l’auteur étant toujours nuisible. Il retouche !

Ah ! qu’ils lèvent la main ceux qui se fussent refusés à pareille aubaine.

— Vous êtes Larochelle lui-même ! exclamai-je, et c’est mon boulanger qui vous envoie !

— C’est entendu, nous répétons demain. Je n’y mets qu’une condition, pas la moindre retouche, fût-ce d’un mot ! L’ours mal léché, tel qu’il est, avec toute sa fourrure. Je les veux à l’état sauvage et pleins de poux, si elle en a !

Père et Mari fut ainsi monté conformément au manuscrit. Larochelle lui-même y veillait, le crayon à la main, car, selon sa doctrine, toute la chance résidait dans le respect scrupuleux des textes, et il y attachait un fétichisme. C’était le directeur intelligent et probe.