Aller au contenu

Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la soupe, impitoyablement, avec une clochette de vache suisse affectée à cet emploi.

Oh ! cette soupe, dans cette bassine gigantesque, brouet ambroisiaque de dieux et de maçons, dont nous nous disputions la dernière pomme de terre, et sur laquelle on allumait la première pipe du dimanche, là-bas, à Rosebois, dans la rosée, qui m’en rendra les délices ? Mais qui me rendra ma jeunesse et les amis perdus ? Où est la clochette de vache suisse au poing de l’architecte austère ? Où s’en va ce que l’on aime ?

Et puis, la boîte au dos et la pique à la main, on partait en quête du motif, du côté de la rivière.

Une fois, à la descente de la petite ruelle qui y menait, entre les deux haies d’épines, nous vîmes que buissons, arbustes et plants étaient sans feuilles, et comme calcinés par un incendie. Ce n’était partout que bois mort, fagots et désolation. Toute la campagne était ravagée par les hannetons. L’air en bourdonnait. Le sol en était mordoré, comme à l’automne, de feuilles sèches.

— Rien à faire, ce matin, avec la nature, fit Georges Becker, peintre philosophique et économe des tubes de couleurs.

— Il y a toujours à faire avec la nature, observa Léon Glaize, péremptoire.

— Quoi ? sonna Kæmmerer.

Et Baudouin disait :

— Où est le motif ? Qu’est-ce que ça rend, les hannetons, en art ?

— Une plaie d’Égypte, par exemple.

Et, en effet, il n’y avait plus qu’à camper, à droite ou à gauche, le Pharaon biblique sur le fond estompé de La Ferté-sous-Jouarre, pour avoir le « fléau des