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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/203

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Un jour il rentra plus sombre qu’à l’ordinaire encore.

— Ça va plus vite que je ne pensais, déclara-t-il. Paris perd la tramontane. L’heure est venue d’aller demander notre fusil à la mairie. Viens-tu ?

Et cette fois il avait raison. La chasse aux espions commençait. Le moment où l’anxiété publique sonne les tayauts absurdes de la chasse aux espions est l’instant de la désespérance. C’est le Waterloo psychologique. Tout est perdu, même l’honneur.

La terreur visionnaire de l’espion, qui serait si comique si elle n’était pas contagieuse, n’atteignit que plus tard, après Metz et pendant l’investissement de Paris, au degré de démence charentonnesque. Mais à la retraite du général Vinoy, elle battait déjà sa folie. Il ne passait pas de jour qu’il ne fallût tirer de la Seine, ou de ses canaux, d’inoffensifs passants ayant « la tête » ou « l’accent ». Sur les hauteurs de Montmartre, une lumière, le soir, tremblante à la vitre d’un grenier ou d’un galetas sous la toiture, justifiait d’une visite domiciliaire, qui, quoique vaine, laissait encore des doutes aux braves du quartier.

— Il fait bon d’être brun, à tout hasard, disait Zizi, ou si l’on est blond, comme eux, de se teindre.

— En tous cas, c’est plus prudent, soulignait Alexandre, qui ne nous faisait pas grâce d’un cri de chouette.

Puisqu’on en était là, évidemment, il ne restait plus que le flingot. Nous allâmes donc réclamer les nôtres à la maison de ville de Batignolles. On y faisait queue, entre des barrières, comme au théâtre, et, le premier jour, nous revînmes béjaunes, sans être