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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/226

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commandement à M. Huart, était lui-même un pipo, et des plus distingués. Il avait nom Frédéric André, et, au sortir de l’École, il avait, selon son droit, acquis par le rang de sortie, choisi la carrière d’ingénieur. C’était un labadens du nègre blanc et de Zizi, à Louis-le-Grand, qui me l’avait amené au castel Turquet. Frédéric André, enfant chéri et gâté d’une riche famille protestante de la rue Saint-Georges, était curieux des choses et des gens de la bohème, et ce qu’on lui avait dit de la nôtre excitait son intérêt, qui fleurit bientôt en vive sympathie. Il s’attacha à notre petit groupe et lorsque le siège nous dissémina, comme le vent d’hiver les cigales, soucieux de tous et de chacun, le cœur et la bourse également ouverts, il courut à l’un et à l’autre et nous allégea de bien des misères. Sous des apparences menteusement sceptiques, et même caustiques, le cher petit huguenot défendait une âme fort tendre et trop accessible parfois à la bonté ! C’est l’un des êtres que j’aurai le plus aimés en ce bas-monde, dont il est parti trop tôt, au moment où tout le désignait à la succession de M. Alphand, comme ingénieur en chef de la Ville Lumière.

Frédéric André, en sus de ses dons scientifiques et de sa supériorité d’X, était fou de tous les arts et dévot à leurs maîtres. Il avait été l’un des premiers à deviner le génie du peintre Degas et il l’avait, comme de force, mené dans sa famille. J’y vis aussi Paul Verlaine, qui n’en était encore qu’à l’aurore obscure de sa gloire, et j’ai entendu le père Ambroise Thomas nous jouer et nous expliquer Robert Schumann, qu’il se défendait mal d’adorer. Mais le culte de Frédéric, c’était Flaubert, et, surtout, L’Éduca-